La neige qui tombe me met en état de manque poétique. Quelque chose de l’enfance, qui en moi se réveille, comme si le monde, soudain venait de recommencer. Il a neigé cette nuit et nous voilà tout surpris, surtout si on ne l’a pas vue venir et qu’on se réveille au matin sous ce blanc qui a comme fixé au sol la lumière gelée de la lune. Que faire alors ? Le plus urgent est d’aller dans la bibliothèque à la recherche d’un recueil de Basho. Justement, je ne le retrouve pas, mais je mets la main sur un haïku de Buson : « le bruit des branches qui cassent/sous la neige/j’entends le bruit de cette nuit ».
». À tout prendre, je préfère les poèmes de Georges Saint-Clair, ce curé béarnais si attentif aux choses. Dans l’un d’eux, il note, regardant son village : « il y a mille ans de neige sur les toits » ou encore plus simplement : « Avec son doigt de craie d’école/ elle est en moi, je la connais/Qui double chacun de mes arbres/D’un petit fagot de forêt/ une porte de grange grince/comme un bercail de brebis/on dirait qu’un long fil de laine/s’enroule au village endormi/courant rompu, voici la ronde/d’un lanternier qui prend ma rue/aussi noir qu’un Villon de songe/Évadé d’un gibet perdu. » Ma foi, j’aime cette poésie simple qui sent son Francis Jammes et son Paul-Jean Toulet. Il a eu le grand prix de poésie de l’Académie française, qui s’en souvient encore ? Je vous avoue que cette neige a la vertu de nous changer le monde qui en ce début d’année 15 démarre dans un climat de folie. Le pays a eu peur, il a été amené à voir ce qu’il ne veut pas voir, c’est-à-dire ses fractures intimes. Il s’était si bien satisfait de la morale ambiante, du discours des faiseurs d’opinion, de la rumeur des médias orchestrée par quelques batteurs d’antenne comme il y a des batteurs d’estrade. Mais le pays profond rumine ses frustrations en silence et vote avec ses pieds. La démagogie rode partout et tient les discours de la simplification. Les ambitieux de tout poil ont déjà le pied sur le quai des prochains trains qui vont partir vers les dernières destinations à la mode. Nulle part la raison ne se fait entendre, partout c’est la contrainte, de la morale, de la religion, de l’argent, de l’opinion. Nous avons, avant tout besoin de silence, de faire silence pour entendre la rumeur du monde et en nous un peu de pensée quand il y en a. Alors la neige est propice au retour sur soi. Ça n’a l’air de rien, mais les rues vides sans voitures, l’absence de bruit soudain et on a basculé dans un temps d’avant, à l’époque où on voyait encore des étoiles la nuit, où l’on n’entendait que les chiens aboyer à la lune et les coqs chanter au petit matin. On se levait en ayant froid aux pieds, on allait près du feu ou du poêle où chauffait le café au lait. Je parle d’un temps d’enfance qui est loin et que la neige me rappelle. Tous n’ont pas les mêmes souvenirs. Dans ce silence, le livre de poésie était hier ce que l’écran de tablette tactile est aujourd’hui, une porte sur le monde mais qui ouvrait à l’intérieur. Fermons un instant cette porte, ne laissons pas s’engouffrer ce qui nous disperse. Il neige, faisons silence pour une fois et lisons.