LA DÉMOCRATIE DE L’INVECTIVE

Il n’y a pas à Paris de meilleur endroit pour incarner la France et sa devise : liberté, égalité, fraternité et …suffrage universel (représenté par un lion de bronze) que la Place de la République. Ses bas-reliefs en illustrent l’histoire depuis le « Serment du jeu de paume », jusqu’à celui de sa proclamation en 1870.

C’est donc là que les organisateurs du rassemblement « spontané » ( ?) de la manifestation « la nuit debout » ont choisi d’installer leur manifestation « reconductible à l’infini » comme le sont les mouvements de protestation, les grèves et autres occupations qui ne durent que le temps d’une colère civique. Car la colère est ces temps-ci (et depuis assez longtemps malgré tout) le vrai ferment de la vie ensemble. A-t-on assez remarqué, dans le vocabulaire des media tout autant que dans celui des manifestants, l’usage et l’utilisation du mot « colère ». Tout un chacun est en colère contre quelque chose ou quelqu’un et entend le faire savoir. Il n’y a pas d’état intermédiaire dans l’ébullition de la marmite sociale, on passe de 0 à 100 degrés d’un coup et « on est en colère ». Les Français sont ainsi et leur ébullition citoyenne les jette dans la rue pour un oui, pour un non. Ces temps-ci, c’est sur la place de la République. Cela prit d’abord la forme d’une A.G étudiante que toute personne qui fut étudiante un jour, reconnut au premier coup d’œil. L’observateur exercé de la chose publique y aura reconnu aussi la manipulation politique typique des mœurs de l’extrême-gauche, mais ceci va souvent avec cela. Non, le plus piquant de cette assemblée libertaire par définition est évidemment son intolérance idéologique. La liberté n’est totale que pour ceux qui partagent la même indignation, elle est nulle pour les autres. On vient d’en avoir la preuve avec « l’exclusion » du « prof et académicien » Finkelkraut, véritable bête noire des nouveaux « bien-pensants ». Ce penseur mélancolique qui se veut d’une gauche nostalgique des valeurs anciennes ne plaît décidemment pas à ce mouvement. Une jeune femme sur un plateau de télévision ne lui a-t-elle pas lancé la célèbre apostrophe du tribun communiste G.Marchais : « taisez-vous Finkelkraut ! » Et c’est bien là que le bât blesse : là où la parole est libre, elle est déjà confisquée. Pour qui a un peu lu l’histoire des mouvements révolutionnaires, cela rappelle pourquoi la terreur succède toujours à l’enthousiasme de la liberté et pourquoi la dictature succède aux révolutions. La réponse du philosophe ronchon devant le flot d’invectives qu’on lui adressait fut à la hauteur des circonstances : « gna,gna,gna, pauv’conne ! », le mot prononcé par un académicien dans le strict respect du dictionnaire qui l’admet depuis 1830 est dans son pur jus populaire. On ne voit pas pourquoi on a fait un tel foin lorsqu’il fut prononcé dans un semblable mouvement de colère par un président en exercice. Au fond, les hommes politiques se donnent tant de mal pour être populaires que s’ils utilisaient ce mot de passe compréhensible par tous un peu plus souvent, ils n’amélioreraient certes pas le niveau du vocabulaire mais seraient de plain pied avec leurs interlocuteurs. Tout ceci pour dire que l’invective est à la syntaxe ce que le coup de poing est au langage sportif, un mal nécessaire mais qui demande à être correctement arbitré.

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