On eût bien étonné Mme de Lafayette si on lui avait conté ce qui se passa en France deux siècles et demi après qu’elle eut publié son célèbre roman « la Princesse de Clèves » considéré comme l’origine en occident du roman sentimental.
C’est qu’en 2009 en effet, un président de la République usant parfois d’un langage peu châtié, sinon familier, voire d’un franc-parler adossé au sens commun, avait au cours d’une saillie dont il est coutumier, fait observer que donner au programme des concours d’attachés d’administration, « la Princesse de Clèves » était une absurdité véritable. Quel besoin en effet un attaché d’administration peut-il avoir de l’usage d’un texte de 1678 ? Gageons que cette réflexion, bien des candidats eussent pu se la formuler à la lecture du programme. De là à faire en public une observation de cette nature était pour ceux qui ont l’esprit critique la marque ou même l’aveu de l’inculture, mieux du mépris de la culture professé par notre Président. Qu’importaient alors le sens de l’observation et le moment où le contexte dans lequel elle était formulée, le mal était fait, la République méprisait sa culture ! La suite est connue, comme on était en pleine protestation étudiante, professeurs, étudiants et élèves se mirent à qui mieux mieux à manifester leur attachement à ce roman en en lisant des passages en public et en tout lieu afin de manifester leur opposition et leur indignation. Quel beau pays que le nôtre doivent se dire les Français dont la littérature la plus savante sert de munition pour brocarder le pouvoir comme au haut Moyen-âge où les escholiers se battaient avec les clercs à grands coups « d’in-folio » sur le Pont neuf à Paris. Quel beau pays que la France doivent se dire les étrangers qui observent nos coutumes de protestation avec perplexité. Quel beau pays que la France doit penser Mme de Lafayette si ces nouvelles lui parviennent par-delà les siècles ! Car l’anecdote touche en fait au fond des choses, si sa symbolique l’emporte en fait sur son contenu réel c’est qu’elle pose l’alternative simple de l’utile et du nécessaire dans la formation des gens, fonctionnaires comme simples étudiants. Faut-il en effet adapter notre enseignement et nos concours à l’utilité sociale, les réduire à la finalité qui dirige une formation vers un métier et un seul ou faut-il continuer à privilégier ce que l’ancien enseignement appelait « la culture générale » ? De la culture générale, cela dit, on sait ce qu’il en advint en certaines circonstances, il n’est que de se souvenir du récent film de Laurent Cantet « Entre les murs » pour en avoir une petite idée, mais le débat est ouvert. Faut-il au nom du réalisme, du pragmatisme diraient certains adapter notre enseignement à nos besoins, faire des Universités des Établissements à filières professionnalisantes dans lesquelles la formation aboutit directement à l’emploi sans passer par la case « culture générale », telle est la question. Certes tout le monde déplore l’inadaptation de notre enseignement à une situation qui abandonne tant de laissés pour compte de ces filières de formation sur le bord de la route, mais toucher au dogme, c’est toucher à notre tradition d’enseignement et c’est surtout l’appauvrir. Dans cette querelle, « la Princesse de Clèves » vient apporter une note poétique et servir de réponse élégante à des propos de bon sens un peu trop rudement administrés. Le Président devrait s’aviser qu’à sa place et dans son rôle, il est comme le prévenu à qui l’on indique « tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous » et devrait savoir depuis le temps que la seule langue qui vaille en politique, ce n’est pas la langue noble, ni le parler populaire, mais bien la langue de bois. Quant à la morale de cette édifiante histoire, gageons qu’elle aura contribué à faire lire, ou relire un roman du XVII° siècle à nombre d’élèves, d’étudiants et d’enseignants qui pour certains ne l’avaient même jamais lu. Pourtant ce que raconte ce roman est encore autre chose, il fait l’éloge de la convention sociale et du conformisme des mœurs contre le sentiment et le désir, au fond, il ne parle que de frustration. C’est peut-être là au fond le sentiment profond des Français en ce moment, comme quoi, un bon roman aide toujours à passer le temps !