Et voilà une question rituelle qui traverse l’esprit de chaque président de la République et de ses conseillers. Qui va-t-on mettre au Panthéon ? Car il faut bien rappeler que le Panthéon fut au lendemain de la Révolution, la nécropole où la République vint inhumer ses grands hommes, comme la Royauté l’avait fait auparavant pour la basilique de Saint Denis. La Révolution, du reste eut pour conséquence la vandalisation et l’abandon de la nécropole royale.
François Mitterrand ne s’y trompa pas, qui au lendemain de son élection vint apporter des roses aux mânes de J.Jaurès, J.Moulin et V.Schölcher, avant de « panthéoniser », Monge, l’Abbé Grégoire et Condorcet lors des cérémonies du bicentenaire de la Révolution. Cherchez le symbole. De Gaulle lui, y fit transporter les cendres de Jean Moulin en 1964 et l’on garde le souvenir d’un discours vibrant de Malraux, lui-même « panthéonisé » par Jacques Chirac qui y ajoutera Alexandre Dumas, fils d’un général Afro antillais, symbole là aussi en direction de l’intégration républicaine. Nicolas Sarkozy s’était cassé le nez sur l’hypothèse d’une entrée d’Albert Camus sous la crypte, ce que ne souhaitaient pas ses enfants semble-t-il, et avait dû se contenter d’inaugurer une plaque à Aimé Césaire. Et François Hollande, qui choisira-t-il ? Fidèle à sa manière il consulte. La conséquence en est une montée des lobbies, chacun ayant sa préférence, ici les femmes, là les hommes politiques, là encore les savants, là enfin les écrivains (mais il y en a déjà beaucoup), toujours est-il que l’on peut s’attendre à ce que ce choix n’aboutisse qu’à envoyer un signal politique de plus, car c’est bien là l’enjeu final et non la piété ou la reconnaissance qui en fonde le mouvement. Mais qui se rappellera plus tard, lequel des présidents de la République a fait rentrer tel ou tel sous la coupole ? Il n’empêche, ceux de la V° République ont choisi pour marquer leur passage, à la fois quelque monument qui perpétuera leur gloire et quelque inhumation qui marquera leur orientation politique. Allez vous étonner alors que ces choix fassent l’objet de polémiques et ajoutent à cet esprit de division qui caractérise les Français. C’est pourquoi, je propose qu’on y fasse enfin entrer une gloire nationale incontestable que chacun peut s’approprier sans peine, quelqu’un qui marque l’esprit français de son sceau, celui dont la formule « je pense donc je suis » est enseignée ces jours-ci dans toutes les écoles de France, celui qui signe l’entrée dans les Temps modernes, René Descartes lui-même. Or, ce pauvre homme, mort en Suède auprès de la Reine Christine en 1650, faillit y rentrer plusieurs fois sans y parvenir jamais. Sous la Convention déjà qui par décret du 17 octobre 1793, sur proposition du poète André Chénier, avait arrêté le principe de ce transfert. Et c’est le Directoire qui, le 18 Août 1796 proposa à l’Assemblée nationale la « translation » des cendres de Descartes afin que cette cérémonie puisse servir de base à la création d’une « Fête de la Reconnaissance » aux grands hommes qui avaient bien mérité de la Patrie. Cette apothéose fut même fixée au 10 Prairial. Mais, c’est un député, un certain Mercier qui vint plaider contre ce projet devant l’Assemblée au motif que celle-ci ne devait pas se transformer en corps académique et que Descartes était la cause de tous les malheurs français. Ce « newtonien » gagné à la science expérimentale, soutint que Descartes partisan d’une science déductive avait développé une doctrine remplie d’erreurs et de fausseté et il conclut en demandant qu’on laisse Descartes « vivre et mourir dans ses ouvrages ». De fait, ce discours aboutit à l’ajournement du projet. Mais ajournement, ne voulait pas dire abandon et les décrets de la Convention avaient déjà connu un début d’exécution. Les ossements de Descartes enlevés de Sainte-Geneviève (déjà proche du futur Panthéon) avaient été déposés au Jardin Elysée des Monuments Français créé par Lenoir où ils demeurèrent dans une urne funéraire jusqu’en 1816. Par la suite, de nombreuses tentatives d’inhumation de Descartes en ce lieu furent initiées sans succès, la plus récente, due à des parlementaires radicaux (PRG) en 2011, n’a pas non plus été suivie d’effet. Voilà donc une injustice à effacer, une occasion de réconcilier les Français autour d’une figure symbolique incontestable, mais ce philosophe avait l’art de mettre les choses en doute et l’on peut bien conjecturer que sur cette éventualité, le doute une fois encore ici, soit permis.