L’avez-vous lu comme moi ? Citroën annonce le retour de la D.S, le retour de la voiture mythique des années soixante en pleine crise de l’automobile, il y a là de quoi surprendre à premier abord. Réflexion faite, cela donne à réfléchir.
L’automobile n’est-elle pas au fond le plus convaincant symbole de notre monde moderne, n’allie-t-elle pas l’individualisme le plus narcissique « ma bagnole » avec le collectivisme le plus organisé, la circulation, ses tracas, ses feux rouges, ses contraventions, ses garages, son système ! N’est-elle pas depuis son invention cette formidable machine qui nous permet de dominer l’espace et le temps. Songeons à l’époque où l’on comptait la terre en nombre de pas ou de pieds, le travail en journées et le lieu de travail, la terre, en « journaux » davantage qu’en hectares, la distance en journées également : d’ici à Paris il y a tant de journées de cheval, de diligence. Avec la voiture, on apprit à vivre à cent à l’heure et quiconque a lu Paul Morand sait que l’homme du vingtième siècle est bien « l’homme pressé ». Pressé par quoi ? Par le temps. L’auto abolit ainsi l’espace et le temps, du moins elle les raccourcit. Du coup cet objet magique devient aussi objet de désirs, de fascination, de culte. Roland Barthes qui l’analysait dans ces années soixante disait que l’automobile était comparable aux cathédrales gothiques en ce sens qu’elles sont « des créations d’époque, conçues par des artistes inconnus, (encore qu’en matière d’auto on connaît désormais les grands désigners) consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique ». car la D.S en l’espèce, lorsqu’elle est apparue a semblé venir d’un autre univers, là où régnaient auparavant charnières, vis et boulons chromés, elle a imposé, l’invisible et le lisse attributs de la perfection, les vitres escamotables, les charnières des portières invisibles, les joints ajustés au millimètre, la forme en est pure comme issue du dessin d’un dieu. Et c’est justement ainsi qu’on la nomme : Déesse ! la renommée populaire fera le reste. Déesse d’un culte nouveau qui avait ses dieux déjà : le cheval cabré, le jaguar bondissant, la victoire ailée, Citroën qui avait le chevron fera évoluer le dessin vers l’insigne ailé. Désormais on n’allait plus identifier la puissance par les muscles du jaguar ou de cheval, mais par ce qu’on appellerait le C X, l’indice de pénétration aérodynamique dans l’air, la glissade plutôt que l’accélération rageuse. La réputation de la voiture ferait le reste, impression de voyager sur coussin d’air, de flotter sur la route (ce qui n’allait pas sans quelque mal au cœur pour les passagers), l’impression de se glisser dans les embouteillages, voire d’échapper, pneus crevés aux balles des tueurs comme ce fut le cas pour le général De Gaulle au « Petit Clamart » en pleine guerre d’Algérie. Ah la déesse bien nommée, elle sauvait même les héros comme dans l’Antiquité lorsqu’Athéna protégeait Achille ou Ulysse. Et c’est ainsi que l’automobile parlait à l’imaginaire. Les choses ont bien changé depuis. De divine, la voiture est devenue maudite, tueuse, pollueuse, ruineuse, avide de carburant, coûteuse, coupable qui nous transforme tous les jours en délinquants potentiels pour peu qu’une inattention nous détourne du cadran de vitesses. Elle est un souci pour les gouvernants, elle est combattue par ceux qui se déclarent écologistes et elle est haïe par les envieux lorsqu’elle est belle et se faufile dans la rue l’air de rien. Allons, il y aura toujours un jeune garçon pour la saluer d’un sifflement lorsqu’elle arbore l’un de ces sigles mythiques des grandes marques. Pourtant celui qui la conduit baissera la tête, mettra ses lunettes de soleil ou enfoncera sa casquette, convaincu d’être l’adepte d’un culte dépassé. Le panthéon de l’automobile n’a désormais plus sa place qu’au musée. Aujourd’hui la mode est au vélo, la mode oui, bien sûr, la mode. Cependant qui ne voit que ce que nous propose le retour de la déesse en pleine crise, c’est un retour du rêve, du rêve d’un temps où l’auto c’était la liberté, la beauté, le désir. Concluons qu’en ces temps de déprime à défaut de dieux, nous avons toujours besoin de déesses !