Je n’y peux rien, je ne peux me départir du malaise que j’éprouve devant l’affaire Lybienne. On a eu ces coups de théâtre successifs avec rencontres à l’Élysée organisées par BHL et commentées par lui, on a eu les frappes de l’OTAN et la conduite d’une guerre où la France était partie prenante, oh combien, et puis une issue semble-t-il conforme aux souhaits de la plupart, l’élimination d’un tyran et la libération d’un peuple. Cela, c’est l’apparence des choses, enfin, c’est ce que l’on voit.
. Et pour qu’on ne s’y trompe pas, on a maintenant le commentaire en direct par le même qui explique ce qu’il a initié et comment il a agi de manière irréprochable, humanitaire et efficace, jonglant avec les diplomaties des Etats occidentaux, et maintenant distribuant les bons et mauvais points et occupant les média de telle sorte qu’il en devient le seul commentateur autorisé. À la vérité, on reste baba d’admiration. Quel homme ? Et s’il était une preuve à donner de son détachement, ne voilà-t-il pas qu’il décerne au Président Sarkozy tous les lauriers que lui vaut cette équipée victorieuse, lui qui – à ce qu’on sait, mais sait-on tout ?- était d’un autre camp, dans l’opposition à ce président lors des dernières présidentielles. Mais voilà, il y avait un vainqueur et l’on traite avec les vainqueurs. Dont acte ; Quelques grincheux, ici ou là, Rony Brauman par exemple contestent le scénario du massacre annoncé par les chars de Khadafi à Mistrata au début du conflit. L’argument est balayé d’un revers de main. Il y était et avec photographes comme on a pu s’en apercevoir. Quant à la suite, l’assassinat de Khadafi et de ses fils, le vote islamique et la déclaration du nouveau président appelant à l’application de la Charia, broutilles, péripéties de l’Histoire, notre écrivain a enfin sa guerre, celle qui sans lui n’aurait pu avoir lieu, il en a écrit la chronique. Voulez-vous que je vous dise, moi, à part le prix Nobel de la paix, je ne vois pas d’autre récompense à la hauteur d’un tel exploit ! Pour autant, on voit bien le mouvement de fond qui travaille aujourd’hui les peuples arabes. Leur jeunesse les confronte à un avenir qu’ils ne veulent pas voir ressembler au passé. Mais cette « poussée démographique et culturelle » est comme en physique, une force et rien que cela. Cette force n’est nullement encadrée, manipulée le plus souvent, elle est chaotique et imprévisible. Ce qu’elle fait de mieux c’est le rassemblement, la manifestation ou l’émeute. Ses moyens sont eux d’aujourd’hui, Internet et téléphone portable. Ses aspirations sont sans doute à plus de démocratie, mais on voit bien que dès que le mouvement s’apaise et qu’il lui faut trouver une traduction politique reviennent les deux seules alternatives connues : l’armée ou la religion. L’armée, comme en Égypte, fait ressurgir le spectre de la dictature et les élections conduisent tout droit aux gouvernements islamistes. Certes, une Turquie passée par le Kémalisme montre aujourd’hui qu’elle sait tenir le juste équilibre entre le spirituel et le temporel, mais jusqu’à quand et il faut bien voir que la vie à Istanbul n’a rien à voir avec la vie à Ankara. Alors quoi ? Ces révolutions arabes vont-elles jeter l’espoir démocratique dans les cours des mosquées, comme en Iran hier ? Rappelons-nous, Michel Foucault tout émerveillé de cette révolution qui ne pouvait imaginer une issue comme celle que ce pays a connu. C’est le propre des philosophes, lorsqu’ils se mêlent de politique, de prendre leurs désirs pour des réalités. Et c’est ce qu’il y a d’exaspérant aujourd’hui avec ce BHL que de le voir dessiner l’avenir, comme il l’entend, sous les yeux d’une presse complaisante alors même que l’évolution que l’on constate indique davantage des lendemains qui prient en lieu et place de lendemains qui chantent. Et encore, si c’était pour le bonheur des peuples !