Et soudain, la question de la prostitution – qui concerne en France paraît-il environ 20 000 personnes- est devenue l’urgence du moment. Il est vrai que le talent et la force de conviction d’une jolie ministre habile à manier la langue de bois y est sans doute pour quelque chose. Cependant on peut s’interroger sur cette urgence à faire des lois sociétales, comme si insidieusement une morale d’État était en train de s’instiller dans le mode de vie des Français. Et une fois de plus, c’est un sujet qui divise. On se demande d’ailleurs quels sont les sujets qui dans notre pays ne divisent pas !
Voici donc à nouveau un de ces débats qui ont pour conséquence de diviser les Français, quand ils ne les laissent pas indifférents et de mettre en œuvre ce que dans les démocraties on appelle « dictature des minorités » c’est-a-dire la manière pour une minorité de faire en sorte que sa ou ses revendications soient prises en charge par la majorité politique du moment. L’enjeu consiste à la transformer en loi qui s’impose à tous. L’ennui est que, s’il est bien dans le caractère de la loi de s’imposer à tous, il n’en reste pas moins que l’exercice tempéré de la démocratie consiste à rechercher l’accord des intérêts de chacun sinon l’assentiment de tous. Car il n’est pas de paix civile qui ne s’appuie sur la recherche du consensus lequel résulte le plus souvent de la synthèse des désaccords. Et ainsi, trop souvent le gouvernement impose par une loi de circonstance ce que la majorité du moment propose sans que l’assentiment de tous soit recherché ni obtenu. Et l’on a assez reproché au précédent gouvernement de diviser les Français et de passer en force pour s’étonner que le nouveau fasse au fond la même chose avec les mêmes résultats et sur le même fond de défiance de l’opinion. La question qui se pose alors, et qu’il est légitime de poser, consiste à se demander s’il est bien du ressort d’un gouvernement de légiférer sur la vie privée et particulièrement sur la sexualité des citoyens. Certes, on m’objectera que la prohibition de l’inceste (qui relève de la sexualité) est ainsi la première des règles et qu’une société qui ne régule pas ce secteur manque à son devoir, mais on m’accordera que légiférer sur la prostitution qui n’intéresse qu’une infime minorité de la population, n’était peut-être pas la priorité du moment qui devrait laisser la place à des préoccupations plus importantes. A moins précisément que l’on veuille se donner un peu d’air avec les questions de société qui appellent toujours peu ou prou la surréaction médiatique. Du reste le faible nombre de députés présents en séance à ce débat indiquait assez l’embarras qui devait être le leur. Car de quoi s’agit-il au juste ? De protéger les prostitués (masculins et féminins) ? D’interdire le marchandage du sexe (on leur souhaite bien du courage), d’interdire le sexe vénal au motif que ceux qui s’y adonnent « achètent des corps » ? Du reste on va pénaliser, ceux qui achètent mais pas ceux ou celles qui vendent de l’amour en passant. Ne va-t-on pas un peu loin ici et peut-on assimiler prestations tarifées entre adultes et esclavage comme certains n’hésitent pas à le faire ? Que des féministes cherchent et trouvent là un nouveau combat à mener et veuillent protéger les femmes des risques de ce commerce immémorial c’est entendu, mais il y a fort à parier que cette pénalisation légale va faire se replier dans les zones du non-droit, de la précarité et du risque sanitaire une pratique que des siècles de raison et de passion n’ont jamais réussi à éradiquer nulle part dans le monde. On se dit alors avec Montesquieu que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » et qu’avec cette maladie Française de nourrir sans cesse l’arsenal législatif, nous donnons là, nous qui nous voulons exemplaires au monde, l’image d’un pays bien mal en point qui voulant se protéger en tout, finit par restreindre l’espace des libertés publiques au nom de la liberté elle-même.