Mes pas m’ayant mené par hasard sur les lieux du salon du livre ancien à Paris, j’ai eu tout loisir d’admirer la richesse de l’offre éditoriale des siècles passés.
C’est ainsi que j’ai constaté qu’on pouvait s’offrir des manuscrits enluminés du XV° siècle pour quelques dizaines, voire centaine de milliers d’euros, que l’on pouvait acquérir « un traité de la géométrie d’Euclide du XVI°, une bible romane, l’Heptameron de Marguerite de Navarre et mille autres raretés des siècles de l’imprimerie naissante, reliés en velin, en peau de truie estampée à froid, avec des dos à nerfs finement roulés et richement ornés avec des titres de tomaison en maroquin rouge et même à tranche dorée », c’est dire si la splendeur dans laquelle on resserrait jadis l’écrit, vaut aujourd’hui toutes les concupiscences et l’intérêt des amateurs. Mais, il n’y avait pas que les incunables pour exciter l’envie, nombre d’éditions originales moins anciennes ayant pour thème la littérature, la science, la médecine, la théologie, la géographie offraient également des ouvrages en nombre et à des prix élevés. Une belle édition de Balzac ou d’Hugo valait ses cinq mille euros et davantage si une dédicace en bas de page soudain en doublait le prix, j’ai même vu une édition originale de « Guerre et paix » de Tolstoï à dix mille euros. À constater ici mon étonnement, certains sourient sans doute de ma naïveté, mais quoi, il est entendu depuis longtemps que les éditions originales valent cher, tout le monde sait ça ! Je le savais, mais à découvrir que nombre de ces ouvrages tiennent leur prix non de leur contenu mais du fait que le nom sur la couverture en assure seul le prix m’étonne toujours. Eh quoi, ne m’a-t-on pas expliqué que pour qu’un ouvrage garde de sa valeur, il fallait, si les pages en étaient pliées, qu’on ne les découpe surtout pas, ce qui entame son intégrité. En somme, entreprendre de lire un de ces livres revient à en détruire une partie de la valeur. Je ne dis pas que bien des fois c’est ce que l’on pense à la lecture de certains ouvrages, mais là, le principe est un peu raide. Il faut donc se faire une raison et admettre qu’il y a une littérature d’objet dont le livre est l’enjeu qui est fondée uniquement sur la rareté et qui transforme définitivement le livre en bibelot. De sorte que nous devons admettre qu’il existe différents types de livres (et sans doute de lecteurs) ceux qu’on achète pour les lire et ceux qu’on achète pour leur rareté et de fait qu’on a parfois lus dans des éditions dites courantes. À voir le nombre des amateurs qui se pressaient ainsi à cette foire, je me faisais la réflexion que le livre décidément ne mourrait jamais, quelle que soit l’évolution de nos modes de lecture et d’écriture. On fera demain, et de plus en plus, usage de la tablette électronique, dite joliment « liseuse », mais on n’abandonnera jamais l’objet livre, que ce soit pour le toucher, le garder, voire thésauriser et il y aura autant de catégories de lecteurs qu’il y a de type de livres. Nous irons donc vers une structure feuilletée (si l’on peut dire) de la littérature dont chaque strate ajoute à l’autre, sans que celles du dessous disparaissent. C’est plutôt rassurant finalement et nullement désespérant pour l’avenir du livre dans nos sociétés.