C’est donc le chanteur-poète américain Bob Dylan qui a été désigné par l’Académie suédoise pour le prix Nobel de Littérature 2016. Pourquoi pas. Il y a bien eu dans la poésie, les Aèdes Grecs, les Rhapsodes et plus tard les Troubadours. Certains chanteurs, sont de cette espèce, poètes eux-mêmes ou passeurs de poésie et à l’évidence, Dylan est les deux.
Pourtant la définition de ce prix qui doit distinguer : « un écrivain ayant rendu service à l’humanité en ayant fait preuve d’un idéal puissant » évoque plutôt un écrivain reconnu comme tel. La question est de savoir si Bob Dylan correspond à la définition stricto sensu.. Ce qui est certain, c’est que ce chanteur populaire a été et reste un formidable « passeur » de littérature, prolongeant l’univers de Walt Whitman ou encore d’Allen Ginsberg, l’idole Beat, qui accompagnait lui aussi la déclamation de ses poésies à l’harmonium diatonique. Bref, la conception musicale de la poésie semble nous conduire tout droit aujourd’hui à Dylan. Peut-être ce dernier a-t-il, plus que d’autres, systématisé cette approche mêlant la musique populaire et la littérature, le modernisme et l’archaïsme, dans une posture qui le situe à la fois dans la lignée de Woody Guthrie et des poètes Beat américains par un sens du collage, de l’assemblage, qu’il porte au niveau d’un art achevé. Il est vrai que lorsqu’il écrit et chante autour des années soixante-cinq: « Blonde on Blonde » ou encore « Highway 61 », il devient à coup sûr l’une des Pop Stars reconnues dans le monde, capable d’offrir les synthèses les plus osées et les plus ésotériques de la musique et de la poésie. C’est en ce sens qu’il faut sans doute comprendre cette distinction ; celle d’un « passeur de littérature » dont la notoriété mondiale dépasse la seule culture américaine, une icône de la « Pop Culture » qui fait rayonner ensemble art et littérature, prose, poésie et fiction. Mais c’est aussi en tant qu’icône de la contreculture américaine qu’on peut dire qu’il porte témoignage de « cet idéal puissant » qui a été celui de la Beat-Génération, lequel comme on sait, est aujourd’hui bien exposé à la vulgarité croissante de la culture de masse. Les Nobel ont donc eu quelques bons motifs pour lui décerner ce prix. Reste qu’on peut se demander, ce qu’il retient ou écarte. La réponse tient en un mot, il dévalorise le choix de grands romanciers dont l’œuvre les désignait jusqu’ici pour cette distinction. Et pour ne citer que les américains : Philip Roth, Don Delillo ou Joyce Carol Oates par exemple. Le grand perdant de l’affaire reste donc le roman, ce genre littéraire, qui semble avoir soudain cessé d’incarner le plus haut point de la littérature mondiale, sa capacité à créer un monde et à l’offrir à des contemporains qui nous faisait désigner tel siècle comme celui de Balzac ou de Zola, tel autre comme celui de Proust ou de Céline, ou encore celui de Sartre ou de Camus et je ne parle que de la France. On dira désormais, de cetemps à cheval sur deux siècles qu’il aura été celui des « Beattles » ou de « Dylan », tant leur rayonnement est devenu planétaire à l’heure de la domination de la culture américaine (à moins qu’on ne dise que ce fut celui d’harry Potter !). Alors, si l’on peut se réjouir devant cette distinction, elle nous laisse tout de même perplexes. Les « Nobel » ont fait un « coup médiatique » car ce prix est devenu un prix dont la gloire rejaillit davantage sur ceux qui le décernent que sur ceux qui l’obtiennent ? Et c’est sans doute ce qui explique l’absence de réaction de M.Dylan.