Rencontre Emmanuel Macron – Donald Trump. Les médias en boucle ont salué la performance ; le jeune président français aurait serré la main de l’Américain sans fléchir alors que semble-t-il tous ses autres interlocuteurs, gênés par une poignée de main qui s’éternisait paraissaient davantage mal à l’aise. Et voilà revenue l’image du bras de fer des tables de bistrot d’antan où s’affrontaient les costauds du port. Fait-elle sens comme on croit, selon une sémiologie dont on sait au moins depuis Roland Barthes qu’elle est aussi polysémique?
Faire toute une histoire de cet épisode est tout de même assez puéril, surtout si l’on donne à penser aux Français, qui en sont à rechercher des compensations imaginaires à des rapports de force bien réels, qu’une image peut les régler en un instant. Pour l’instant tout est beau et la France savoure une sorte de fierté retrouvée dans les gestes (réussis) de la communication de son jeune Président. Réjouissons-nous en, tout en ayant bien conscience que ce jeu des images reste ce qu’il est, une apparence sinon un jeu de dupes, car, les images disent une chose ou une autre selon le regard qu’on porte sur elles et le sens qu’on leur attribue. Examinons celle dont on parle, la première interprétation, est d’ordre viril, elle veut dire : « je vous tiendrais tête » et c’est ce qui a plu aux journalistes au point de l’évaluer en secondes : « il a tenu tant de temps… » Du reste, la poignée de main droite marque l’accord que deux hommes se donnent en renonçant de la sorte à sortir leur épée, cela date du temps de la chevalerie. C’est donc toujours un rapport de force, mais policé. Mais à y bien regarder, on peut aussi voir aussi les choses autrement. Qu’était venu faire ce Président américain au G7 sinon informer ses interlocuteurs que désormais, ce ne serait plus comme avant et qu’il fallait entendre « America first » comme l’assurance de moins de crédits à leurs causes communes : défense, environnement, solidarité. Et si c’était davantage la poignée de main qu’un créancier cynique et souriant donne à ses débiteurs qu’autre chose ? Si cette main un instant emprisonnée, n’était pas davantage celle que l’un voudrait retenir alors que l’autre cherche à s’en dégager ? On voit qu’au jeu des images l’interprétation est complexe. Or cette image nous en rappelle une autre, c’était en 1984, devant l’ossuaire de Douaumont, le président d’alors, François Mitterrand debout aux côtés d’Helmut Kohl, lui prenait la main après l’hymne allemand. Les média d’alors avaient vu dans ce geste la fraternité et le pardon du vainqueur au vaincu donné devant les morts de la guerre et sans doute était-ce cela, mais ce que la foule voyait aussi c’était un grand qui tenait un petit par la main. Évidemment, personne n’osa à l’époque ce parallèle (sauf quelques caricaturistes), pourtant là, se nouait le rapport entre la grande Allemagne qui quelques années plus tard serait réunifiée par la seule volonté de son Chancelier, qui serait bientôt dominante en Europe, et la petite France qui elle, allait s’enfoncer peu à peu dans son déséquilibre économique et ses problèmes sociaux. C’est dire s’il faut y regarder à deux fois. Symboliques avez-vous dit ces poignées de main ? Vous avez raison. Observons néanmoins que ce que la presse traduit est davantage l’attente de grandeur qu’elle met dans ses dirigeants que l’expression objective d’un rapport de force réel obtenu par la puissance. Les peuples ont besoin d’images pour supporter la réalité, les media leur en fournissent, avec le mode d’emploi mais pas forcément le manuel d’interprétation complet.