Le spectacle que nous donne ces jours-ci l’Espagne et singulièrement la Catalogne, ce désaccord persistant, ce désamour, ce lien qui se défait sous nos yeux, ici comme ailleurs en Europe, est proprement affligeant.
L’épisode lui-même qui montre une instance politique rebelle à son État cherchant à s’affranchir d’une nation démocratique au mépris des règles constitutionnelles et sans le consentement de cette dernière, semble voué à l’échec ou au pire. Cependant un scénario parfaitement prévisible à l’image de ces bulletins de vote dressés contre les matraques emporte l’adhésion médiatique et soulève à juste titre l’indignation. Pourtant ce n’est pas cela qui retiendra notre attention, mais bien le fait que cette crise identitaire n’est pas isolée en Europe. Les divorces sont à l’ordre du jour, les antagonismes régionalistes présents un peu partout, en Belgique, en Italie, au Royaume-Uni, lequel vient par un geste unilatéral de se séparer de Europe. Néanmoins il s’agit d’un État et non d’une région ce qui fait une considérable différence. Pourtant les sentiments sont identiques, même si dans le cas de l’Espagne en Catalogne un lourd passé menace toujours le présent. Ce qui est en question, on le sent bien au-delà de ces particularismes, est cette menace qui pèse sur l’idée nationale. Grande conquête du XIXe siècle qui les a vu naître, les États-nations se trouvent aujourd’hui remis en cause par la revendication des identités culturelles. Ce n’est pas sans raison, le nivellement imposé par la culture mondiale, l’éradication des traditions, la perte des repères, la menace sur les langues, le sentiment de ne plus se sentir entre soi mais ouvert aux convulsions et tensions du monde moderne pèsent sur le moral des citoyens. Aussi le sentiment d’appartenance sans lequel il n’est ni peuple ni nation digne de ce nom l’emporte sur toute autre considération. Ceci explique ce double mouvement contraire vers les nationalismes et vers les régionalismes. Avers et revers d’une même médaille avec comme point commun de vouloir rester entre soi. Les peuples européens ont au XXe siècle payé un lourd tribut aux nationalismes, ce n’est pas pour autant qu’il faut jeter la nation aux orties. Au lendemain de la guerre, des hommes d’État ont considéré que pour retrouver la paix et la prospérité ce n’était pas l’état de guerre qui devait prévaloir mais au contraire, l’ambition commune de construire une nation de nationalités, à l’imitation des USA. Cela impliquait de construire un monde régi par des règles communes fondées sur un ensemble de valeurs communes, c’était cela l’Europe des nations. Nous sommes, chacun le sent bien, à un moment de doute sur ce point et jamais pourtant la nécessité de l’Europe ne nous a paru aussi forte. Face aux grandes puissances mondiales, elle est le seuil de crédibilité indispensable pour faire face aux obligations qui sont les nôtres afin de garantir notre présent et notre avenir. Le problème c’est que l’Europe ne peut répondre à ce qu’on attend d’une nation. Une nation, on le sait bien, c’est un sol, un peuple (et non une population), une langue, des mœurs communes, voire des croyances communes et un « plébiscite de tous les jours » selon le mot de Renan. C’est bien là que le bât blesse entre L’Espagne et la catalogne qui y prétendent l’une et l’autre.On le sait bien, l’Europe est davantage une civilisation qu’une nation et le sentiment d’appartenance commune des Européens à un même ensemble solidaire n’est pas encore parfaitement constitué. Certains croient à une Europe des régions mais ne voient pas que celle-ci passerait obligatoirement par la défaite des nations, chose impensable à court terme et périlleuse à long terme. La balkanisation de l’Europe ne peut être son avenir.