Voilà un mot dont le succès populaire éclate soudain aux yeux de tous. « Dégage », c’est un commandement de cour de récréation, par exemple lorsqu’un groupe de garnements décide d’exclure un importun, c’est une variante du « casse-toi » des banlieues, c’est l’interpellation indignée à quelqu’un qui obstrue le chemin, c’est l’ordre comminatoire du représentant de l’ordre au malfaiteur qui s’obstine. C’est donc d’une manière générale un commandement impératif. .
Lorsqu’il est prononcé par le peuple et adressé aux puissants ou au puissant du moment, il affirme une dimension soudaine de la légitimité, une réappropriation de la souveraineté. « Dégage ! » devient la forme familière pour dire : débarrasse-nous de ta présence, vide les lieux, disparais, ôte-toi de là. On notera au passage que le choix de l’expression française de préférence à d’autres : « balek », « out » par exemple ou « fuera » donne soudain à notre langue comme une aura internationale qu’elle avait perdue, nul doute que ce mot va faire carrière. Le réponse est, comme on s’en doute, diverse et multiple, l’intéressé peut « dégager » avec pertes et fracas, ou en catimini, ou l’air dégagé et désinvolte, ou encore dans le vocabulaire sportif, dégager en touche, on voit que le verbe bien qu’il soit comminatoire, laisse cependant toute latitude sur la manière d’en exécuter l’ordre. Pour s’en tenir à l’Histoire, Louis XVI dégagea en calèche avant qu’on lui dégage la nuque comme chez le coiffeur, Casanova dégagea par les toits des plombs de Venise, l’armée française se dégagea par l’Est lors de la première guerre mondiale et au siècle dernier, bien des tyrans et autres dictateurs furent dégagés « manu militari » ou « exfiltrés » pour échapper à leurs peuples révoltés. On comprend alors que le dégagement, en dépit de son caractère impératif ne soit pas une chose simple à exécuter et que les intéressés tergiversent. Tel potentat africain qui accepta de jouer au jeu des urnes en refusa le verdict dès lors que le résultat lui fut connu arguant que la légitimité était d’abord une affaire d’habitude avant d’être une expression du suffrage universel, tel autre le fit, mais en emportant ses gages dont il ne faudrait pas oublier qu’ils sont au fondement de l’expression. Comme aurait dit Sganarelle à la fin de Don juan : « mes gages ! mes gages ! » Tel encore, avant de dégager veut s’assurer que la voie et libre et le retour possible, tel enfin veut un bain de sang avant tout dégagement, sans quoi la retraite manquerait de panache. On voit par là que si le commandement est clair, son exécution ne l’est guère et si le peuple pense que le « coup de pied au cul » en est la traduction la plus simple et la plus immédiate, il doit songer que l’animal chassé peut toujours ruer et aussi que le coup de pied de l’âne n’est pas celui qui fait le moins mal.