Revenons un instant sur le psychodrame de cet été. Des femmes se baignent en habit qui cache leur corps sur les plages de France. Ceux qui voyagent ont déjà vu ça ailleurs, d’abord avec étonnement, ensuite avec indifférence. Ils se rappelleront (même s’ils ne l’ont jamais vu sauf en photo) qu’on se baignait en robe et chapeau sur les plages de Deauville avant que les bains de mer ne soient à la mode au début du siècle dernier.
C’est dire qu’il n’y a pas si longtemps que ça que la femme s’est dévêtue comme la marguerite, un peu, beaucoup, à la folie. La chose s’est produite dans les années soixante, le corset était délacé depuis longtemps, la taille était devenue plus fine, les jupes avaient remonté sur le genou et le bikini faisait son apparition sur les plages. Le XX° siècle en un sens a été le siècle de la libération de la femme occidentale, d’abord dans son corps par ailleurs érotisé et devenu emblème de consommation, la désirabilité de ce dernier influant sur la désirabilité des produits : automobile, parfums, vêtements, et tutti quanti. La femme « cet objet de désir » devenait une icône de la consommation d’une part, de l’autre elle devenait conquérante de son autonomie, dans le travail, la politique, la famille. Un nouvel archétype se substituait à l’ancien : la femme libre, égale et toujours désirable au point de s’inventer une jeunesse éternelle faire de gymnastique de liftings et de cosmétiques. Mais cela, c’est l’histoire sociologique de la femme occidentale. Cette évolution a suivi celle des sociétés occidentales et elle a influencé d’autres cultures par la mondialisation des échanges, les voyages, le tourisme. Qu’elle ait créé un choc culturel en retour dans des sociétés plus fermées ou plus traditionnelles ne fait aucun doute. Qu’elle ait modifié les représentations des femmes elles-mêmes dans de telles sociétés et créé des tensions ne fait non plus aucun doute. Il suffit d’avoir voyagé dans les pays du Maghreb par exemple pour avoir entendu des soupirs et des regrets dans la bouche d’hommes qui disaient « ne plus tenir leurs femmes » pour s’en convaincre. Aussi ce que nous voyons est à interpréter d’abord comme un débat de société sur « la place des femmes » dans la société. En occident la femme a réussi à s’extraire du dilemme connu : « la maman ou la putain », ailleurs, c’est toujours l’un ou l’autre et la femme bien sera toujours plutôt la maman. Or ces corps que l’on préserve, que l’on recouvre, que l’on appelle à la retenue et à la pudeur en les menaçant des châtiments sur terre et de la damnation dans le ciel obéissent à un seul objectif : revenir aux archétypes. La religion y sert de référence, mais l’objectif est clairement socio-culturel. Il se trouve que cela affecte principalement des populations apparemment de confession musulmane qui par ailleurs, en France particulièrement se sentent brimées ou reléguées. Soudain cette posture sociale en leur redonnant une visibilité leur offre aussi un statut. D’invisibles et anonymes elles sont devenues visibles, leur nouvelle apparence interroge, questionne de façon muette leurs contemporains. C’est un paradoxe, mais il est évident que désormais on les voit alors qu’avant on ne les regardait pas. Il doit y avoir un vertige narcissique malgré tout dans cette situation nouvelle et il suffit d’avoir croisé quelques regards de défi de ces femmes dans la rue pour se convaincre qu’elles puisent dans ce nouveau rôle un légitime orgueil. Le prix à payer ce sera plus tard, lorsque réduites à s’occuper du mari et des enfants, enfermées plus ou moins dans des voiles et des murs, interdites de lieux publics, de liberté de mouvement, elles chercheront à s’émanciper à nouveau. Mais dans le moment que nous vivons d’affrontement des identités et d’apprentissage du communautarisme de fait et du multiculturalisme de volonté, le mieux que nous ayons à faire serait sans doute de n’y prêter pas plus attention que cela. Il est vrai que les attentats ont hystérisé les rapports humains et que la peur bien réelle de chaque jour n’incline pas à l’empathie, mais nous avons davantage affaire à un affrontement culturel dans nos sociétés démocratiques qu’à un affrontement religieux. La religion ici sert de cache-sexe (si l’on peut dire) à la cohabitation des différences. Que certains songent à s’en préserver est compréhensible mais la loi aura du mal à changer les mœurs. Il faut apprendre à vivre ensemble chaque jour et admettre que les autres ne sont pas nous. Cela ne signifie aucunement qu’il faille renoncer à ce que nous sommes. Sans hystérie et sans passion, il va nous falloir réaffirmer notre identité historique et le choix de société dans lequel nous voulons et aimons vivre sans pour autant empêcher les autres d’être ce qu’ils sont. Cela s’appelle le multiculturalisme. Les anglo-saxons y sont plus habitués que nous, mais nous voyons bien que nous y allons bon gré mal gré nous aussi. Il y a fort à parier que le monde de demain, unidimensionnel par ses échanges sera multiculturel par nécessité.