Comme il arrive qu’on sursaute chaque fois qu’on touche à une dent malade, la France a fait un bond en découvrant les nouvelles mesures préconisées par un rapport au gouvernement sur l’Intégration, fait à la demande du Premier Ministre. Le constat de ce rapport est dénué d’ambiguïté, il part du fait que l’intégration est un échec et que les politiques « de droite » en portent la responsabilité depuis trente ans. Il établit qu’il faut renverser le modèle, s’ouvrir à la diversité, ne plus faire du Français la seule langue de la République, punir toute allusion à une différence d’origine de race ou de culture, bref, évoluer vers un modèle anglo-saxon multiculturaliste, (certains diront communautariste) que l’on peut observer dans tel ou tel pays de cette tradition.
Sans rentrer dans le détail de ces propositions, ni ergoter sur la responsabilité de ceux qui l’ont suscité, on observera que c’est un nouveau rapport clivant qui visant la droite revient en boomerang sur la gauche. Les Français médusés, observent une fois de plus ce jeu permanent qui place le pays toujours peu ou prou au bord de la crise de nerfs. On est loin du consensus national. Or, cela ne doit pas nous étonner, car cela dure depuis au moins deux siècles, très exactement depuis la Révolution française. Le XIX° siècle avec ses grands historiens , Ernest Lavisse ou Michelet essayera bien d’écrire notre « roman national », cette marche en avant de la monarchie vers la République et le progrès, les grands historiens essayeront bien de donner un fondement politique à l’identité républicaine des Français, fondée sur les lumières et la raison, ils n’empêcheront pas que se produise cet « ébranlement identitaire » des Français qui les fait s’interroger sur leur identité collective et douter de leur solidarité. C’est que le monde issu de la deuxième guerre mondiale, c’est-à-dire de la dernière défaite de la France avant qu’elle ne replie son drapeau aux colonies, n’est plus le même. La France est devenue, un petit pays soumis à la même mondialisation qu’ailleurs, sa souveraineté s’est réduite et avec elle les paramètres qui la fondaient : frontières territoriales, monnaie, règlements de plus en plus soumis à l’arbitrage d’une Europe, pas vraiment choisie comme nouveau cadre identitaire (rejet du référendum sur la constitution européenne). Par ailleurs, l’arrivée d’une immigration massive post-coloniale dans les années dites « glorieuses » a installé sans les assimiler de nouvelles populations souvent étrangères de langue, de croyances et de mœurs. Mais la France, refusant tout pragmatisme en la matière fit comme si cela ne posait pas problème et réfuta tout débat sur le sujet. Elle se retrouva avec des minorités alors qu’elle raisonnait en termes d’individus disposés à s’intégrer, à devenir des citoyens comme les autres. Mais les conditions que cela supposait n’étaient que rarement réunies, d’où les ratés et les échecs. La notion d’identité nationale s’en est trouvée bouleversée et l’on commença à parler de « rupture identitaire ». Le précédent gouvernement, sans doute avec maladresse, entreprit de poser ce problème de l’identité, en faisant même un ministère. On a vu la difficulté, on a vu les débats, le tollé, l’anathémisation qui a suivi au motif que poser un tel sujet était de nature à encourager le racisme, la xénophobie et retrouver le climat du pétainisme de l’après-guerre. Cette question, et au passage celle d’une maison de l’Histoire de France, ont été enterrées, poussées comme la poussière sous le tapis, mais l’on voit comment le vent de l’histoire nous la renvoie dans le nez à chaque bourrasque. Cette question de l’intégration repose en fait la question de l’identité et comme la première fois, mais de façon inversée, sous un angle aussi polémique. Un seul constat s’impose : les Français vivent une crise identitaire majeure, les minorités revendiquent toutes une égale prétention à l’universel. L’idée d’une France avec son histoire issue de la Gaule, du baptême de Clovis, des croisades et même de la Révolution prise comme repère, peine à imposer son modèle. Nous sommes entrés dans la guerre civile des mémoires. Quel sera l’Henri IV qui saura apaiser ces guerres de religion et de civilisation que l’on sent monter dans les profondeurs de la société ? Car on entend s’exprimer en ce moment, bien peu de sages et beaucoup trop d’apprentis sorciers.