L’ART DE PRÉSENTER LES CHOSES

Cela n’aura échappé à personne, enfin à aucun de ceux qui lisent les journaux, on parle beaucoup de la culture et de l’économie en ce début d’année. Sans doute est-ce dû au nouveau rapport publié par le ministère de la culture lequel établit, après d’autres, que la valeur ajoutée des activités culturelles s’évalue à 57,8 milliards par an. Le cabinet Ernest et Young l’établissait même à 74 milliards il y a peu. Mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel est que la culture peut être comparée à l’immobilier, à la restauration, à l’industrie automobile, au luxe, bref aux activités économiques dans la mesure où on peut chiffrer son « PIB culturel ».

Et voilà qui change tout. Cette activité dévoreuse de subventions à laquelle l’État apporte près de 10 milliards annuels, en rapporte donc cinq fois plus. De plus, elle emploie directement 670 000 personnes dans les entreprises culturelles et 870 000 emplois indirects, toutes entreprises confondues. On est donc loin de l’état de déploration qui prévalait il y a peu, sur le « désengagement » de l’État et le dépérissement de la culture. Seulement voilà. Qu’appelle-t-on au juste, culture ? Jusqu’ici, on visait essentiellement le domaine subventionné, producteur de peu de valeur ajoutée, soit le spectacle vivant et le patrimoine pour l’essentiel. Le budget du Ministère de la culture affecté à ces activités est de 2,7 milliards auquel il faut ajouter la contribution des collectivités pour environ 7,6 milliards d’euros, soit un peu plus de 10 milliards au total. Or ce secteur voit quand même sa contribution orientée à la baisse depuis deux ans maintenant (-5%), Pendant longtemps on a opposé la culture « culturelle » et la culture « de masse », entendez, la culture des industries culturelles : arts visuels, (cinéma, audiovisuel), la presse et le livre, la publicité etc…Désormais on les intègre et on relève par exemple que la « culture cultivée » n’a jamais concerné plus de dix pour cent de la population, alors que la culture de masse concerne l’ensemble. On voit le débat. Prenons le cas du cinéma, (192 Millions de spectateurs en 2013), il est très singulier et très français par exemple, d’opposer comme on le fait dans notre pays, le cinéma « d’art et essai » et le cinéma « populaire », en gros Ozu contre Oury (qui se détestent au travers de leurs producteurs, productions et éventuellement spectateurs). Alors qu’aux Etats-Unis, l’idée de présenter des œuvres de grande qualité au grand public est la règle. Les Français y viennent peu à peu, mais difficilement, souvent en se bouchant le nez. Regardons le temps qu’il a fallu pour accepter que Spielberg ou Georges Lucas soient considérés comme des grands. Or, on se complait dans l’idée que notre cinéma rivalise avec le cinéma américain (c’est quand même dans un rapport de production et de recettes de un à dix !) mais on oublie que la plupart des films français subventionnés ne couvrent pas leurs dépenses et que cette prospérité repose bon an mal an sur quatre ou cinq films dont en général un seul constitue la surprise. (cette année, « Guillaume et les garçons à table ! ») Mais l’année 2013 a été mauvaise (-5%) et la part des films français dans les recettes est tombée à 33% contre 40% et plus les années précédentes. Cependant on trouvera toujours des gens pour se mobiliser pour la défense de « l’exception culturelle » qui n’est au fond que le droit de subventionner des films déficitaires. Dire cela c’est évidemment transgresser un tabou et négliger la sacro-sainte diversité,on en convient, mais on a envie de dire à ceux qui nous abreuvent maintenant de chiffres : allons jusqu’au bout et défendons certes une « exception » bien comprise qui nous mette dans le même sens que les économies productives, faisons un bon, un grand cinéma populaire d’art comme il a existé avant-guerre, on a ce qu’il faut pour. Cessons enfin, une bonne fois pour toutes de raisonner en termes d’avantages acquis et mettons le cinéma Français et la production audiovisuelle tant qu’on y est en situation réellement concurrentielle. Il faut alors changer de système et raisonner un peu plus industrie comme disait déjà Malraux (le cinéma : un art et d’abord une industrie). Ah mais là, il faut cesser de parler la langue de bois et regarder les réalités économiques en face. Il semblerait que ce soit ces jours-ci la tentation du gouvernement. On lui dira « chiche » et « Bonne année à venir » pour le cinéma comme pour le reste.

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