DIVAGATIONS ESTIVALES

Avez-vous remarqué que l’été revient chaque année à la même époque ? Contrairement à la SNCF, les horloges cosmiques sont à l’heure et si vous l’aviez oublié, le tintamarre de la fête de la musique aurait dû vous le rappeler. Cette année l’orage est venu y jouer de la grosse caisse interrompant le concert. Les notes de musique se mirent alors à tomber, , sur la portée glissante des parapluies : une noire une blanche … Dommage, car la fête aurait pu être le temps fort du concert des casseroles dont les épisodes précédents ont été la répétition ; Mais je médis, il y a aussi de vrais concerts et de bons musiciens et des amateurs de fête qui n’écoutent pas que des boites à rythmes.

Pour tout vous dire, moi j’ai un peu tendance à fuir le tintamarre : quand il y a trop de bruit, je me réfugie dans les jardins publics pour admirer les statues des grands hommes qu’on y a placées ; c’est fou le nombre d’inconnus qui furent connus un jour, puis oubliés.  Cela rend modeste quant à l’histoire des hommes. Un de mes amis qui y promène ses petits-enfants imagine des histoires qui valent toute explication : « tu vois, celui-là a inventé le saucisson », « tu crois grand-père » ? A ce jeu-là on tient vite un après-midi. J’imagine plutôt certains de ces rêveurs de bronze descendre de leur piédestal pour aller cueillir des roses afin de les offrir aux belles qui viennent s’asseoir sur les bancs publics. Au fait y en a-t-il autant que cela ? Et que regardent-elles à part leur téléphone portable, si d’aventure ils s’en trouve une qui attend un rendez-vous dans ces parages ?

Et puis l’été c’est le temps des festivals, il y en a plus qu’il n’en faut pour rendre la culture aimable en dépit de ce que pensait la philosophe Hannah Arendt qui se demandait si la culture qui avait résisté à des siècles d’oppression pourrait survivre à la version divertissante d’elle-même. Trop pessimiste sans doute, elle n’anticipait que ce qui arrive et qui parait aujourd’hui si naturel à nos successeurs lesquels ne conjuguent plus la culture qu’au pluriel : une humanité vouée, comme disait Philippe Muray, à la déambulation approbative des festivaliers dans un monde qui se réaménage à toute allure en « espace de loisirs et de divertissement ». 

Le divertissement, y a-t-il meilleure formule que celle qu’en donne Pascal (né en juin 1623, cela fait tout juste 400 ans !) qui le définissant comme « une activité qui promet le bonheur qu’il ne donne jamais ». J’ai pour ma part baigné dans ces eaux pendant longtemps et avec des moments de bonheur à faire mentir la philosophe mais j’avais rarement le sentiment de me divertir, plutôt d’avoir le privilège de penser sous les étoiles lorsqu’il m’arrivait de me faufiler dans des ruines antiques où l’on entendait réciter des vers oubliés ou jouer des musiques d’il y a longtemps. Mais je suis de la génération de ceux qui se faisaient une gloire de ne pas vouloir bronzer idiot. Je ne dirais pas du reste y être toujours parvenu. 

Enfin l’été c’est le tour de France parcourant ce pays sur une carte imaginaire comme celle de ces écoliers des temps anciens qui découvraient la géographie de leur pays en suivant les étapes du tour. « Tour de France » : quelle belle définition trouvée en un temps où la République cherchait à expliquer l’histoire par la géographie : « la France est un être géographique » (Michelet), où les instituteurs faisaient apprendre la table de multiplication et la carte des départements par cœur. 

Mais le tour de France cycliste c’est aussi autre chose, une belle métaphore de nos aspirations communes. Chaque année il y a un vainqueur et des vaincus, qui ne sont pas forcément ceux de l’année précédente. On peut donc rêver d’une année sur l’autre de renverser la hiérarchie ce qui est l’aspiration constante des hommes et des femmes dans nos démocraties impatientes. Car comme en politique, dans cette course on trouve des montagnes et des vallées, des cols à franchir et des plaines à dévaler, des courses contre la montre et des jours de repos, soit des hauts et des bas, les jours de clameur et des jours d’accalmie. Ce sport admirable nous est cher car aucun comme celui-là ne met en valeur notre goût de la compétition, tempéré par celui de l’égalité qui le combat. En somme il nous faut un champion mais surtout qu’il se fasse oublier pour que « le tour des autres » vienne le plus vite possible. La IVe République avait bien réussi à l’organiser en jeu de massacre : aussitôt élu, aussitôt déchu et à chacun son tour, le vainqueur du jour ne serait pas celui du lendemain. On comprend pourquoi sur la belle avenue des Champs Élysées où se termine la course, nombre de nos contemporains aient rêvé de faire la leur en gilet jaune, pas forcément en vélo, et pas forcément de manière pacifique, mais en résumé le message était bien celui-là : « c’est notre tour ».

Cela aussi « c’est la France » comme le « tour » est l’événement de l’été qui tourne sur lui-même de juillet en août. Alors, la grande boucle se referme au moment où la France s’endort. Espérons seulement que du côté de l’Est un nouveau tyran aux petits yeux fixes ne choisisse ce moment pour nous tirer brutalement de la sieste que ce soit au son des cuivres de Wagner ou des orgues de Staline.

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *