Alain LESTIE peintre français

« In Memoriam »

Il est des matins qui sont voués au chagrin. Rien n’y fait, ni ce redoux qui donne des airs de printemps au pied des Pyrénées que l’on ne voit plus comme des pistes à descendre ou des parois à gravir mais comme un paysage fait de bleu et de blanc, comme un décor unique, un fond de peinture sur lequel viennent s’inscrire les paysages et les visages.

Et justement, c’est celui d’un peintre qui pour moi s’inscrit ce matin au fond de mon regard intérieur.

Alain Lestié le peintre des glacis et des surfaces lisses, le peintre des rébus et des citations, des images fragmentées, le peintre qui avait inventé une manière d’être peintre et penseur, (le philosophe J-M Pontévia écrira longtemps sur son œuvre), celui qui était à la fois dans la philosophie, la poésie et la haute connaissance de ses devanciers les artistes, nous a quittés à l’âge de 79 ans.

« À bout de souffle » au sens propre nous ont dit ses proches. Pas de meilleure description pour un fou de cinéma aussi. Il est mort dans cette ville du cinéma, Cannes sa ville depuis 30 ans, où il avait pensé que la vie serait plus douce moins humide en tout cas que Bordeaux ou son Hossegor de naissance. Ce n’était pas un homme de mer, d’embruns ou d’océans, c’était un méditatif à la manière de Valery du Cimetière marin dont me reviennent ces vers : « ce toit tranquille où marchent les colombes, entre les pins, palpite entre les tombes »…la méditerranée lui aussi, il l’aima comme cela, au point de demander que ces cendres soient répandues sur un des îles de Lérins qui figurent dans tant de ses tableaux.

Je me souviens de ce dessin au crayon « sfumato » intitulé « ad ultimum spiritum » qui reprend ces mots dans leur latin d’origine. Lui, le cérébral savait bien que la peinture aussi est une question de souffle. Peindre : « atmen » respirer, disait aussi Paul Klee.

Il connut la gloire très jeune, trop jeune peut-être : exposé à Beaubourg avec la jeune création française dans les années soixante-dix, prix de la biennale de Paris en 1967, il entre dans la prestigieuse Galerie de France , il est présent au pavillon français de la biennale de Venise en 1978. Il sera exposé dans nombre de galeries,  Peter Finlay à New-York , galerie Birch à Copenhague, entrera dans la collection du FNAC et du FRAC, puis peu à peu son chemin le mènera de plus en plus à s’écarter, à suivre une voie qui n’est pas un courant, qui lui est propre, qui lui est chère. Ses amis sensibles à cette recherche le suivront, l’aideront parfois. Elle le mènera jusqu’aux bords de la méditerranée où il peindra encore de superbes tableaux en couleur.

Et puis, mystère, il passera au dessin noir et blanc, grands formats, avec ce crayon « sfumato » qui évoque Léonard de Vinci. Pourquoi cette œuvre au noir lui demandait-on ? Mais c’est la même chose répondait-il, la même chose que la couleur, le tableau autrement. Il s’y tiendra pendant près de 30 ans, exposant régulièrement à sa galerie de Nice ou à Bordeaux, enfermé dans son silence, sa méditation, sa gravité, sa profondeur. Seuls les titres de ces nouvelles œuvres faisaient le lien avec les anciennes. « In Memoriam » titrait-il souvent, comme s’il était déjà passé de l’autre côté. C’est ce que nous retiendrons et qui nous cause tant de chagrin.

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *