Jusqu’à, il y a peu, la culture en France faisait consensus. On était plutôt fiers de vivre dans un pays qui avait fait de la culture une obligation publique. L’État, bien entendu n’y était pas pour rien, qui, en créant en 1959 un Ministère de la culture avait en quelque sorte, donné le cadre dans lequel les politiques publiques inscriraient peu à peu cette nouvelle priorité : « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité et d’abord de la France, au plus grand nombre de Français, assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent », tel était le sens du décret toujours en vigueur.
Les batailles menées par les artistes et les acteurs culturels pendant des années aboutirent finalement à ce 1% pour la culture qui est en gros le budget que consacre le pays aux activités culturelles. Sur le plan social, un statut approprié pour les intermittents du spectacle et les techniciens est venu compléter ce dispositif public, mais c’est du côté des collectivités locales et territoriales que la culture a petit à petit reçu une impulsion grandissante. On estime en effet aujourd’hui que la vie culturelle est portée et financée aux deux-tiers par ces dernières et par l’État pour un tiers. On comprendra dès lors que lorsque les temps deviennent difficiles et l’argent rare le danger pour la culture de voir ses financements se réduire vienne de ces deux fronts. Car la particularité du domaine culturel, chacun le sait ou devrait le savoir, est d’être subventionnée. En effet, s’il fallait faire payer aux gens, aux utilisateurs, aux spectateurs, le prix de revient réel d’un spectacle, d’une exposition, d’un concert ou de toute autre manifestation, il n’y aurait que bien peu de personnes à pouvoir avoir accès à ces œuvres de l’art et de l’esprit désignées plus haut par le décret. De fait, l’économie de la culture, si tant est que l’expression ait un sens, est par nature, déficitaire et sans subsides publics, son activité se contracterait comme peau de chagrin. C’est pourquoi, la période que nous traversons est devenue périlleuse. L’État, endetté comme on sait, doit faire des économies et en cascade c’est aussi la situation des collectivités locales et régionales. Dans le débat qui s’est élevé ces derniers temps au niveau de l’État, on a constaté que la culture n’était plus une priorité comme elle l’avait été du temps de la gauche au pouvoir en 1981 et cela fait une sacrée différence. À l’époque son budget avait doublé, aujourd’hui, il est raboté de plus de 4%. Le milieu culturel n’y est pas préparé, tant la notion de « sanctuarisation » du budget de la culture était, ces dernières années, ancré dans les esprits. Mais, il y a plus grave. Les collectivités, elles, ont au fil du temps et pour des motifs divers accru leurs dépenses culturelles et créé d’innombrables ayant-droit auxquels il faut aujourd’hui dire non ou dire moins. Cela ne se fait pas sans douleur et sans conséquences du fait que la part des collectivités dans les budgets culturels est devenue prépondérante. Se pose alors la vraie question : qu’est-ce qu’une priorité, et la culture est-elle une priorité dans la vie publique ? Ce débat qui n’a que rarement, sinon jamais lieu, tant l’habitude ou les non-dits l’ont recouvert de propos convenus doit être rouvert. Quelqu’un a dit : « la culture est là pour rendre la vie que nous menons plus vivante » et on trouvera l’écho de ce propos sous différentes formes dans bien des déclarations publiques. C’est maintenant devenu le moment de le prouver. Si la qualité de la vie que nous menons en société dépend à ce point de la culture dont nous avons fait une habitude, de quel prix sommes-nous disposés à la payer ? On n’échappera pas à cette question.