HANTAÏ, PEINTRE MAJEUR.

((/public/.IMG_1960_m.jpg|écriture rose||écriture rose, juin 2013))Quarante ans qu’on n’avait pas vu une exposition semblable sur ce peintre majeur. Il est vrai qu’il avait décidé de cesse d’exposer depuis 1981 et que l’on en était resté à ce que l’on connaissait à cette date, c’est-à-dire l’essentiel. Mais il reste qu’au lendemain de sa participation à la Biennale de Venise, il va se retirer des cimaises, jusqu’à sa mort en 2008.

((/public/.IMG_1963_m.jpg|Tabula||Tabula, juin 2013))Qu’avais-je perçu vraiment de cette œuvre, moi qui avais, comme tout le monde ou presque, vu les toiles du Musée d’art moderne, la grande expo des « tabula » au CAPC en 1981 et qui tenais « les pliages » pour un truc de peintre, une manière d’aller vers le cœur de ce qu’il voulait parvenir à exprimer, rien de plus. Je ne mesurais donc pas réellement l’importance de cette œuvre, aussi je dois dire que la magnifique rétrospective du Centre Pompidou, la première grande exposition depuis le silence du peintre en 1982 m’a stupéfié et convaincu définitivement de l’importance de ce peintre dans la peinture du XX° siècle. Aussi nous ne bouderons pas notre plaisir à suivre les « moments » de cette œuvre parfaitement exposés et scandés par périodes et par manières. On voit d’abord le Hantaï influencé par le surréalisme et soutenu (un temps) par Breton dans les années cinquante où il utilise les frottages, les décalcomanies, les procédés automatiques, les inclusions, comme ces crânes d’animaux, ces ossements collés à la toile lui donnant une allure de bestiaire dont les entrailles sont peintes. À cette époque encore, il utilise des collages d’objets divers, des inclusions de plumes, de feuilles, de cordages, mais déjà aussi des pliages de toile, des froissages, tout un système pictural qui culminera en 1955 avant qu’il ne quitte ou soit exclu du surréalisme. S’ensuit alors une autre orientation influencée par la peinture gestuelle de Georges Mathieu et plus fortement encore de Jackson Pollock qui restera pour lui un modèle. Ce sont alors de grandes toiles où dansent des signes, où apparaissent des mouvements rythmés, des spirales, des raclures de toile et des formes hybride (sexe prime hommage à J.P Brisset 1955) . Mais c’est avec la découverte du système des petites touches qu’on sent qu’il « tient » sa manière laquelle ne doit rien aux autres, mais tout à sa propre recherche. Il en est ainsi de tous les peintres, il leur faut du temps avant d’émerger à eux-mêmes, un temps plus ou moins long à regarder les autres, à copier, transformer, puis à abandonner ces béquilles et devenir eux-mêmes. À cette époque donc Hantaï met au point une touche qui ressemble à la forme d’un ongle obtenu à partir d’une pièce d’horlogerie prélevée dans un vieux réveil et ce système de touche qui fait comme un revêtement d’écailles donne soudain à son tableau une allure, une liberté plastique, nouvelle. C’est alors qu’il entreprend de travailler simultanément, matin et soir à deux toiles : sur l’une : « écriture rose », il transcrit des textes de la bible ou de philosophie, il inclut des signes religieux ou culturels (étoile de David, encrier de Luther) alors que sur l’autre, « A Galla Placidia » il pose des touches qui s’inspirent des mosaïques qu’il a pu voir à Ravenne en 1948. On reste alors saisi par la dimension de cette entreprise, d’autant que ces deux toiles immenses (3 X 4 m chacune) sont là comme une pierre d’angle, un moment fondateur, un tournant à partir duquel va s’édifier une œuvre originale. Écriture et peinture, tel et l’enjeu et dans ce cas, bien avant Cy Twombly ou d’autres, car c’est ici une houle qui traverse et emporte sens et couleur et signe une manière qui n’est qu’à lui. Le grand Hantaï est né. Mais c’est avec les « Mariales » des années soixante qu’il va accéder à ce style qui le hissera d’un coup au niveau des plus grands peintres. Il va alors plier sa toile en la froissant sur toute sa surface qu’il peindra ainsi, puis elle sera dépliée et les parties en réserve seront à son tour colorées créant une surface entièrement peinte qui dégage une force picturale étonnante d’autant que la surface de ces toiles est toujours très importante (2m x 2m ou davantage). Par la suite, il variera sa manière, éclaboussant d’abord de noir sa toile , puis la pliant à grands plis, libérant une plus grande surface de couleur. Cette technique de pliage deviendra par la suite sa méthode, mais c’est dans ce registre des « mariales » (allusion au manteau de la vierge vu dans son enfance catholique : un tableau de Piero della Franscesca) qu’il donne probablement la forme la plus saisissante de son art. Ensuite, variant sa méthode, Hantaï va changer de manière de pliage, nouant les bords pour concentrer la couleur sur le centre comme s’il fabriquait de gros sacs dont il ne peindrait que la « panse » (nom donné à ces œuvres) puis les dépliait et les montait sur châssis. Ceci le conduit à poser de grands à-plats de couleur avec des pliages sommaires qui laissent paraîtres de grosses taches de couleur sur fond blanc qui ne sont pas sans rappeler Kijno ou Motherwell. C’est aussi une période plus ouverte où la peinture peut respirer comme on le voit aussi dans les papiers découpés de Matisse. Il faut regarder travailler Hantaï (ce qu’on peut voir dans un excellent documentaire de l’INA). On apprend que ces toiles pliées lui rappellent les pliages des tabliers de satin que portait sa mère qui noirs et lustrés, déployaient sur le tissu comme un dessin rigoureux. Hantaï, lui, va déployer cette méthode sur des toiles immenses (4m x 5m) qu’il va plier en carrés dont il nouera les arêtes avant d’écraser le tout avec un rouleau de pierre comme pour écraser le grain, puis une fois la toile aplatie, il passera la couleur au pinceau avant de déplier le tout et de nous donner ces « tabulas » à l’huile et à l’acrylique aboutissant à des formes parfois gigantesques comme celles qu’il exposera au CAPC de Bordeaux en 1994, avant de les découper au cutter et d’en faire de nouvelles toiles (les laissées). Telle est cette remarquable exposition qui encore une fois donne à voir le travail d’un artiste majeur dont on avait (je parle pour moi) peut-être négligé l’importance. Mais, il faut ajouter que ce qu’on a vu de ces tableaux qui circulent de temps à autre dans les ventes ou les foires et qui sont des formats « de salon », souvent des sérigraphies ou même des peintures à l’acrylique (plus décoratives) ne correspondent en rien à la taille des œuvres majeures de ce peintre, enfin il me semble. Mais on soupçonne aussi qu’il y avait chez lui dans son évolution, cette volonté d’appauvrir la peinture, comme dans un combat vers l’anonymat de la chose peinte et comme un désespoir qui le fera peu à peu renoncer à peindre. On lit là-dessus bien des commentaires qui tirent l’explication souvent vers le rejet de ce monde de l’art devenu trop mercantile, ou vers sa déception après avoir représenté la France à la biennale de Venise. On peut se demander aussi si ce désespoir ne se trouvait pas aussi dans l’œuvre elle-même guidant le peintre vers son silence intérieur. Difficile de se prononcer sur ce sujet. On lira les spécialistes de l’œuvre et on essayera de se former un jugement. Reste l’impression ressentie devant une telle exposition qu’il faut recommander à chacun d’aller voir. De tels moments sont rarissimes et du coup, exaltants. Je ne crois pas avoir ressenti quelque chose d’aussi fort depuis la grande exposition Pollock vue en ces mêmes lieux en 1982.

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