EXCEPTION CULTURELLE VERSUS INDUSTRIE CULTURELLE

Finalement nous l’avons échappée belle, le « non » français au mandat de négociation donné aux ministres du commerce de l’union pour discuter avec les Etats-Unis sur les accords de libre échange a finalement abouti à ce que le secteur de l’audio-visuel soit exclu de ces négociations au grand dam des Anglo-saxons. C’est une victoire de la France qui depuis 1993 mène le combat pour que cette « exception culturelle » soit garantie, au motif que la culture « n’est pas une marchandise comme les autres » et par ailleurs, comme ce fut le cas à l’UNESCO où la France avait aussi pris la tête de la révolte, pour garantir la diversité des cultures et de leurs productions. Et tout le monde de se réjouir dans notre pays, majorité, opposition, pas une voix divergente, tant nous avons là un « marqueur idéologique » qui réunit l’opinion publique d’un bout à l’autre de l’échiquier politique.

Mais qu’est-ce au juste que cette « exception culturelle » et pourquoi est-elle si importante ? Disons qu’en gros, elle garantit aux États le droit de subventionner leurs productions, d’imposer des quotas et de réguler la filière. Disons encore pour ce qui concerne l’industrie culturelle, qu’elle permet de préserver celle-ci dès lors que ses coûts et prix de revient déficitaires la mettraient sans cela en péril. On reconnaîtra là soudain un penchant bien français pour les activités subventionnées, c’est du reste le cas avec l’Agriculture et certains récemment encore auraient bien aimé que l’on fasse de même avec l’Industrie métallurgique. Malheureusement le monde ouvert dans lequel nous évoluons, rend ces choses de plus en plus difficiles et le secteur de l’industrie culturelle n’est pas si loin de ces problèmes. Mais nous avons employé le mot de culture et jusqu’à un certain point et un certain temps encore, ce dernier est tabou. Du reste, n’avons-nous pas vu les vedettes du cinéma, les chanteurs et même certaines Majors américaines se déclarer pour « l’exception culturelle » ! Tiens, les « Majors », mais pourquoi ? C’est que depuis que le cinéma américain est devenu la puissance culturelle dominante du monde, il faut bien qu’il s’exporte, et voir en France, un réseau de salles de qualité (plus de 5000) subventionnées pour accueillir des films dont plus de la moitié sont américains est un gage certain de recettes que nul autre pays n’offre pareillement. Mais il n’y a pas que le cinéma, il y a l’audiovisuel, et là , les Américains sont également maîtres du jeu : Internet, Google, Apple, Facebook, Amazon, U-Tube, Twitter, vous en voulez encore ? TOUS les grands outils de la communication, supports de l’industrie du même nom sont américains. Alors, que la France et l’Europe subventionnent la diversité, c’est formidable, car cela va venir alimenter en contenus gratuits (car bien sûr, il faut que l’Internet soit gratuit, c’est pourquoi on a coupé la tête à Hadopi !) les canaux de la diffusion planétaire. Suis-je en train de dire du mal de « l’exception culturelle » ? Non. Qu’on ne s’y méprenne pas, je sais bien qu’un pays comme la France qui n’a que peu d’impact culturel mondial en matière de produits culturels, en partie du fait de sa langue, risquerait de se trouver assujetti au « mainstream » de la culture de masse, (elle l’est cependant déjà un peu sans cela), mais je déplore que ce système d’aides ne soit pas orienté vers la seule chose qui compte : la construction d’une industrie culturelle européenne dans le domaine de l’audiovisuel. Ce secteur qui devient le premier poste des exportations américaines est le point noir de la politique européenne et le seul qui doive nous importer. Car nous préserverons sans doute notre cinéma, même si depuis 1946 (voir les accords Blum/Byrnes de l’époque) il est fortement concurrencé par l’industrie Hollywoodienne. Mais le danger n’est pas là, il est devant la nouvelle industrie des loisirs du Net dont les opérateurs se soustraient d’autant plus facilement à leurs obligations en matière de TVA, d’impôt sur les sociétés, de règlementations, qu’ils peuvent jouer sur les différences entres systèmes fiscaux européens et donc atteindre une rentabilité qui rend toute concurrence impossible. Or, nous autres Européens, non seulement nous nous disputons sur la fameuse neutralité de Net qu’il s’agit de préserver de toute atteinte et réglementation (voir encore le psychodrame Hadopi) mais encore, lorsque Amazon menace la librairie française en se jouant du prix unique et en livrant gratuitement les livres sur un mode de concurrence déloyale, que fait-on ? On subventionne la librairie indépendante. Mais quand comprendra-t-on enfin que le régime de la subvention et des aides sociales lorsque l’emploi est perdu est inefficace dans les combats industriels ? Ce qu’il nous faut, c’est muscler notre industrie, ramener ces mastodontes au régime commun et les pénaliser s’il le faut, qu’il faut monter des industries culturelles sur la numérisation des bibliothèques sans attendre qu’elles soient « googelisées » (en a-t-on vu à ce sujet des palinodies françaises), en un mot comme en cent, il faut utiliser nos capacités à soutenir nos productions culturelles dans le seul but d’en faire des industries rentables d’abord, ensuite, il sera temps de disserter sur la diversité culturelle. Sans cela, nos « cocorico » de basse cour ne dépasseront pas l’enclos du village gaulois, cependant que les coupoles de télévision continueront à recevoir les émissions du monde entier et que nous continuerons à pianoter sur nos « mac » et « PC » « made in China » sous licence américaine. Je rêve en somme à une industrie culturelle sur le mode de l’aéronautique, là est le vrai défi et non dans la consommation subventionnée des loisirs culturels des français.

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