La première question que l’on peut se poser à partir du changement de titulaire au poste de Ministre de la culture est de savoir si ce sera un changement ou la continuation des mêmes difficultés qui ont fini par décourager son dernier titulaire. Malgré tout c’est cela qui étonne d’abord, s’agissant d’un poste prestigieux et convoité, qu’on puisse en démissionner.
À notre connaissance, c’est le seul cas sous la V° République où un titulaire de ce poste demande à en être déchargé pour des raisons qui lui appartiennent du reste mais qui sont de l’ordre du choix et non de la nécessité. On a connu des ministres poussés vers la sortie (le dernier en date J-J Aillagon victime de la crise des intermittents), mais aucun ne l’a fait à sa demande. Il faut qu’il y ait là bien des motifs de désenchantement. Dans le cas d’Aurélie Filippetti, on comprend que ses motifs soient politiques et qu’à tout prendre elle ait choisi une carrière socialiste proche de ses convictions à ceux d’un ministère qui ne lu a jamais donné les moyens de ses ambitions. Mais justement quelles étaient-elles au juste ces ambitions, on n’a jamais bien su, tant ce ministère paraissait voguer sans cap et sans boussole. Au début certes, la « déconstruction » de ce qu’avait entrepris son prédécesseur sembla galvaniser ses énergies : abandon de la Maison de l’Histoire de France, d’un centre national de la musique, de la loi Hadopi. Une solution peut-être à la baisse des crédits en affectant ce qui restait à de nouveaux projets ? Mais la ministre donna souvent l’impression d’être à la recherche d’une orientation, plombée qu’elle était par la baisse tendancielle et régulière du budget de la culture qu’on lui infligeait pour la première fois depuis des décennies, ce qui est un comble pour un gouvernement de gauche. Elle placera un instant la jeunesse, une des priorités du président au titre de ses ambitions mais sans davantage de moyens. En somme, elle n’aura jamais eu les moyens d’une politique et son bilan reconnu aura été finalement de pouvoir procéder aux nominations de femmes à la tête d’établissements culturels. On demeure en attente de cette fameuse loi d’orientation (on ne parle plus de programmation) de la création, souvent annoncée, et jamais venue au parlement ce qui donne à penser qu’un ministre qui arrive aux affaires a plutôt intérêt à avoir des dossiers prêts dans sa serviette car le temps lui est toujours compté. Reste le dossier des intermittents qui était sous ses pas, explosif comme on sait et comme elle risquait de l’apprendre à ses dépens. A-t-elle voulu s’éviter cette épreuve ? On ne le saura jamais mais on déplorera une fois de plus que la présence de ministres, à la notable exception de Malraux et de Lang, à la tête de ce ministère n’excède guère deux ans, ce qui est une moyenne ces dernières décennies. Que faire de durable en deux ans ? C’est bien là le problème. Alors qu’attendre de celle qui lui succède, dont on sait qu’elle connaît ce ministère pour y avoir travaillé, mais aura-t-elle le poids politique nécessaire pour obtenir un budget en rapport avec les besoins ? C’est la clé de tout. Lang, autant que Malraux n’ont pu avancer que grâce au soutien du président de la République, à d’autres époques le titulaire pouvait souvent s’appuyer sur un parti, mais un ministre qui ne peut compter que sur son talent aura fort à faire pour réussir. Par ailleurs, comment sortir du conflit des intermittents sans dégâts, c’est-à-dire sans se fâcher avec le « milieu » culturel ? On mesurera à la solution de cette difficulté l’habilité du titulaire. À moins que saisie d’un grand courage et dopée par la situation dans laquelle est le pays, cette fleur du matin calme, mette tout le monde d’accord en conjuguant le principe de réalité avec un choix radical qui mette l’État en situation de ne prendre en charge que ce qui relève de ses missions régaliennes. Mais comme disait quelqu’un : vaste programme !