CATALOGUE DES DÉSIRS

Saluons pour une fois, sans réserves, le geste de la ministre de la culture qui propose de sortir des « réserves » de quelques uns de nos grands musées, les trésors qui y dorment depuis des lustres. Oh, certes tous ne sont pas oubliés, quelques-uns ont droit à la lumière des expositions mais le plus souvent, passés aux chapitres des catalogues (la plupart du temps forts bien faits), ils retournent dormir dans les réserves qui sont aux musées ce que sont les icebergs à la glace : un quart exposé au regard, le reste enfoui dans les profondeurs.

Mais enfin, voilà une mesure démocratique dont l’application, (même si son énoncé : « catalogue des désirs » laisse au départ un peu perplexe), ne devrait pas poser trop de problèmes : mettre les œuvres d’art à la disposition du regard de tous et surtout de ceux qui n’habitant pas à Paris ne peuvent fréquenter assidûment ou fréquemment les musées nationaux est une bonne idée. Elle s’inscrit dans le mouvement qui consiste à vouloir porter les œuvres d’art au plus près des gens, dans ces lieux où la culture est moins présente qu’ailleurs sur le territoire national. Cependant ceci, qui devrait tomber sous le sens, est une vieille histoire. Le premier qui en avait eu l’idée est André Malraux qui lors de l’ouverture de l’une des premières Maisons de la culture (1962) y avait fait transporter des statues du Louvre pour une exposition. La décision avait à l’époque tellement choqué les conservateurs que deux d’entre eux décidèrent de coucher sur place pour surveiller leurs trésors le temps qu’il faudrait. Le message fut entendu et l’on décida alors d’exposer plutôt des artistes contemporains. Longtemps d’ailleurs les plâtres et les moulages étaient dans les écoles des Beaux-Arts la seule manière d’approcher la grande statuaire. Montrer les vraies œuvres est le pari et la nouveauté. Toute la différence est là Car ce qui a évolué aujourd’hui, c’est la notion de patrimoine entendu comme propriété de tous et l’on en revient aux fondamentaux qui au lendemain de la Révolution et sous l’action de l’Abbé Grégoire d’abord puis de Napoléon ensuite ont voulu rendre à tous, les biens nationaux dont le Louvre a été le modèle : conservation de la demeure des rois et des trésors artistiques de la nation. Les choses évoluent lentement, mais dans le bon sens. L’ouverture des musées à l’extérieur a commencé depuis longtemps et la circulation des œuvres prêtées est déjà la règle entre établissements du même genre en France comme à l’étranger. Le prêt d’œuvres de longue durée consenti par les grands musées français aux musées des villes existe aussi depuis longtemps, mais cela ne touchait pas ces « zones blanches » dont parle la ministre et c’était là un vrai besoin. On s’en était rendu compte avec la création d’antennes directes de grands musées Français, tout d’abord avec le Centre Pompidou à Metz, mais surtout à Lens en plein pays minier avec le Louvre, « zone noire cette fois ». Ces expériences ont montré combien le fait d’exposer de vrais chefs d’œuvres et des œuvres de premier plan modifiait l’opinion qu’on pouvait avoir des villes et des régions qui les hébergeaient et combien le regard qu’on leur portait s’en est trouvé changé. Le même mouvement modifia l’image de la France à l’étranger. À commencer par le projet du Louvre à Abu Dhabi qui outre un bâtiment construit par un grand architecte français, contient une collection d’œuvres provenant de 14 Institutions françaises et l’on se dit que désormais, la culture des œuvres et des chef d’œuvres d’art plastiques historiques ou décoratifs est entrée dans sa phase nomade pour le plus grand bien de tous. Nombre de petits musées de province vont pouvoir désormais mettre ces prêts à l’affiche et attirer de nouveaux visiteurs, accomplissant là le vœu de Malraux selon lequel, il n’est pas de culture vraie sans révélation des œuvres mêmes. Lorsqu’on jette un œil sur ce « catalogue des désirs » (on ne saura jamais de qui ni de quoi ? Désirs d’art, on imagine ?) On se rend compte que le choix est vaste qui va d’une tête des Cyclades ou d’objets remarquables de l’archéologie en passant par les arts Asiatiques, Africains, Océaniens, pour aller vers la grande peinture et la sculpture : Goya, ou Georges de la Tour, Delacroix, Manet ou Van Gogh et jusqu’à Picasso ou Yves Klein ou encore Rodin. On se dit qu’il y là, pour les conservateurs, matière à trouver leur bonheur dans ces 450 œuvres artistiques majeures qui leur sont proposées. Naturellement, les choix et les mises en place se feront lentement et après avoir vérifié que toutes les conditions sont réunies, en particulier en matière de conservation et de sécurité, c’est pourquoi on n’en annonce qu’une dizaine environ d’ici la fin de l’année, mais enfin, le mouvement est lancé. À Pau, à ce que l’on sait, le musée de l’armée devrait prêter au musée Bernadotte l’épée du roi de Suède pour l’anniversaire des 200 ans de son accession au trône, et à Cambo-les-Bains au musée E.Rostand l’autoportrait de celle qui fut la décoratrice de la villa Arnaga. Ainsi, peu à peu se gagne le pari de la décentralisation culturelle commencé au début du siècle dernier et étape après étape : le théâtre d’abord, le spectacle vivant ensuite, les arts plastiques enfin et le livre dans les bibliothèques publiques depuis longtemps, concourent à l’aménagement culturel du territoire confortant le goût des français pour leur patrimoine. Comme le mouvement se prouve en marchant, c’est par ces actes, davantage que par des discours que l’engagement culturel s’éprouve, on devrait s’en convaincre peu à peu, si ce n’est déjà fait.

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