LE COUP DU LAPIN

En ces temps de crise et de morosité, la vente Yves Saint-Laurent/Pierre Bergé aura été un coup de tonnerre pour le monde de la finance et des enchères. Tout le monde a pu suivre, nul n’a pu ignorer le moindre détail, jamais sans doute on n’aura vu une telle médiatisation pour une vente.

De tonnes de catalogues pesant plusieurs kilos, des éditions spéciales sur papier glacé, des magazines en quantité et jusqu’aux journaux qui ont publié et republié, commenté et recommenté le détail de cet ensemble de plus de sept-cent pièces. Et le résultat a été à la hauteur des circonstances : 373,9 Millions d’euros, il y a de quoi tourner la tête des gens ! Le lendemain tous ceux qui avaient collectionné quelques assiettes, de vagues plats d’étain, quelques estampes ou de mauvais tableaux pouvaient bomber le torse, le collectionneur, quel que soit son rang sa qualité ou ses moyens en sortait grandi. Il appartenait désormais à la race des malins qui n’avaient pas placé étourdiment en bourse mais avait su allier le goût et l’opportunisme. Les marchands pouvaient se frotter les mains, les affaires allaient reprendre. N’achetez donc plus des actions mais des tableaux et de la vaisselle que diantre ! Comme si c’était si simple. Car à y regarder de près, nos deux compères avaient à la fois de l’argent et du goût et avaient su en tous domaines faire des choix avisés. Qu’importe que le sublime Picasso cubiste n’ait pas trouvé preneur, il s’est trouvé en revanche des amateurs pour tout le reste. Trois « Mondrian » alors que la musée d’Art moderne n’en possède pas davantage, Matisse, Chirico, Ingres, Géricault, on n’achetait pas les petits maîtres dans la haute couture. Leur vente fut à la hauteur. Mais que dire de ce flacon « d’eau de voilette » objet qui doit à son titre et à son créateur « Marcel Duchamp » la notoriété de son concepteur et la folie des enchères le fit monter à 9 millions d’euros. Neuf millions d’euros pour un flacon de parfum ? pardon pour une œuvre d’art ! Ah une œuvre d’art alors…Il est vrai que l’urinoir du même Duchamp baptisée « fontaine » est devenue depuis un siècle une icône de l’art contemporain ! Et l’on se dit que le pauvre malheureux qui pointe aux Assedic doit considérer que nous vivons un monde de fous. Entre la bourse qui dégringole, les enchères qui s’affolent, les repères qui disparaissent, les augures qui chaque matin à la radio nous expliquent le pourquoi du comment et le comment du pourquoi, il y a de quoi perdre le nord. Admettons que ces œuvres d’art soient remarquables et pour la plupart, elles l’étaient, qu’elles reprennent le chemin des musées et de la demeure de quelques riches collectionneurs pas encore ruinés, c’est dans l’ordre des choses. Du reste, ne soyons pas chagrins, qui aurait aimé vivre dans une telle accumulation ? Parce qu’après tout à y regarder de plus près ces décors surchargés et lourds, cela sentait un peu la cocotte et le chiffon. Certes, certes, on était dans le sublime et le rare mais quand même on devait y étouffer un peu. On comprend qu’en homme avisé Pierre Bergé ait eu envie de s’en débarrasser. En plus c’est pour la bonne cause, enfin il paraît. Cet argent devrait servir aux fondations caritatives ou humanitaires dont s’occupe le couturier devenu bienfaiteur. Mais tout ce tralala des affaires et des bons sentiments a de quoi énerver. On se rejouirait presque du bon tour joué par ce chinois qui acheta mais ne voulût point payer deux têtes de bronze dérobées à son pays par les puissances coloniales lors du sac du palais d’été. Enfin une note drôle. Le coup du lapin en quelque sorte ou une chinoiserie comme on voudra et voilà que la vente finit sur un coup de théâtre. Ma foi, cela ne nous aura rien rapporté, mais un peu diverti et par les temps qui courent ce n’est pas si mal.

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