Partant du « non » au référendum européen, français, néerlandais, puis irlandais, Elie Barnavi diagnostique la crise d’identité qui traverse l’Europe. Elle a contre elle dit-il l’État, la paix et la démocratie qui lui donnent l’impression en fin de compte qu’elle n’a pas besoin d’une dimension nouvelle, fût-elle l’Europe.
Partant du « non » au référendum européen, français, néerlandais, puis irlandais, Elie Barnavi diagnostique la crise d’identité qui traverse l’Europe. Elle a contre elle dit-il l’État, la paix et la démocratie qui lui donnent l’impression en fin de compte qu’elle n’a pas besoin d’une dimension nouvelle, fût-elle l’Europe.
Le premier problème tient à la question de l’élargissement qui a donné l’impression aux peuples d’une dilution de leur entité commune dans un espace vague. Ajoutée à la mondialisation qui provoque une crispation instinctive et un retour aux racines, les européens sont devenus frileux.
Longtemps pourtant, la France a eu la fibre européenne mais elle a un peu confondu le destin de ce continent avec le sien, sa disposition à l’universel l’y engageait. Ce n’est pas le cas des autres peuples d’Europe. Aussi rien d’étonnant à ce que le flambeau de l’universalité des valeurs occidentales ait été repris par l’Amérique. Cependant, bien avant le « non » français au référendum constitutionnel, il y avait eu le « non » français à la communauté européenne de défense, le réflexe souverainiste a donc laissé place à la « pax américana ».
Un autre débat surgit dans la période, celui sur les racines chrétiennes de l’Europe. Il divisa par principe et au nom de la laïcité. Or, si les quatre piliers de l’Europe sont bien: la Grèce, Rome, les Barbares et l’Église, cette dernière compte autant sinon davantage que les autres. La Grèce a apporté la philosophie, la science l’art avec ses canons de beauté, le théâtre et la primauté de la Raison. Rome a apporté avec sa langue (romane) les principes du droit, l’idée de la citoyenneté et la conception de la souveraineté. Les barbares venus de Germanie ont apporté l’idée de féodalité. Quant à l’Église, édifiée sur le terreau romain est s’est voulue « catholique », autant dire universelle, c’est elle qui synthétisant les autres fit l’originalité de la civilisation européenne du Moyen-âge. Elle couvre l’Europe d’édifices religieux dont les cathédrales sont l’exemple, d’ordres monastiques concentrés sur le recherche de Dieu par l’étude et le travail, d’Universités formant la première communauté intellectuelle européenne : même langue, la latin, mêmes diplômes dans toute l’Europe (programme de Bologne). Elle impose alors sa vision du monde, spirituelle, sociale et politique. En ce sens, il est légitime de dire que l’Église est au fondement de l’Europe et en ce sens elle est l’héritière de l’empire romain.
Cependant deux entités vont menacer sa suprématie : la ville et l’État face à la cathédrale et au château féodal. Leur développement annoncera la modernité à travers la Renaissance, l’humanisme chrétien, la Réforme et la contre-Réforme.
Il n’est donc pas illégitime de soutenir que l’Europe a été chrétienne. Son héritage qui a vu ses valeurs sécularisées par les lumières se retrouve aussi dans l’État laïque qui connaît la séparation du politique et du religieux.
En se voilant la face pour une meilleure intégration des hommes issus de cultures et de pays différents du sien, on renonce à affirmer ce qu’est l’Europe en elle-même, on se prive d’un socle commun narratif partagé par tous, on perd une grande part de ce qui fonde la notion de communauté. L’Europe, un marché commun ? et seulement cela ? L’histoire dit Barnavi, n’est pas un menu à la carte et la laïcité elle-même qui repose sur la distinction clerc/laïc fait partie de l’héritage chrétien. L’Europe se mutile en refusant d’assumer la totalité de ses héritages.
Par ailleurs, il serait faux de prétendre que c’est le seul christianisme qui est le ciment de l’Europe. Toute l’histoire moderne peut se lire comme une tension entre deux forces opposées : l’une politique qui tend à l’éclatement en entités indépendantes, l’autre culturelle qui vise l’unité de sa civilisation partagée. Les européens restent aveugles à ce qui fait l’unité profonde de leur civilisation.
C’est qu’elle a connu de nombreuses crises. À partir du XIV°siècle, la République chrétienne a vécu, c’est l’État territorial qui émerge, l’Académie, le collège humaniste supplantent l’Université et dispensent un savoir hostile à la scholastique médiévale. La Renaissance fera émerger un autre mode de politique, des princes d’un autre statut et un homme nouveau. La crise religieuse affectant à travers la Réforme la puissance de l’Église partagera l’Europe entre protestants et catholiques avec les conséquences que l’on sait. Le grand vainqueur des guerres de religion sera l’État. A l’Europe de la Renaissance et de l’humanisme des XV° et XVI° siècles se substitue l’Europe de l’art baroque et classique et la révolution scientifique (Galilée, Descartes, Newton) puis la république des lettres et des philosophes du XVIII° siècle. Jamais l’Europe n’a tant rayonné qu’à l’époque des lumières, c’est aussi la plus grande période du rayonnement français, langue que l’on parle dans toutes les cours d’Europe.
La Révolution française mettra un terme à une lente dégradation de ce rapport de forces inter aux États et externe, ce sera l’avènement des masses, de la Bourgeoisie et l’entrée dans l’âge démocratique. Avec cela, la révolution industrielle mettra en scène le couple bourgeois/prolétaire et leurs tensions au sein des sociétés et à l’extérieur l’Europe connaîtra le début des révolutions nationales et l’affirmation de l’État-nation.
De quoi l’esprit européen est-il fait se demande encore E.Barnavi ? de curiosité intellectuelle, d’esprit de révolte de négation de la fatalité, d’affirmation de la volonté de goût de l’aventure et d’une conception de la vie comme défi permanent.
Or aujourd’hui, l’Europe est pénétrée d’une culture de l’auto-flagellation, du repentir et de la repentance (valeurs chrétiennes ?) Elle se montre incapable d’assumer les deux faces de sa civilisation et perd confiance en elle-même. Sans tourner le dos au passé quel qu’il fût, l’Europe peut se regarder comme celle qui a donné un sens au concept de civilisation-monde. Dans son histoire on trouve exprimées les valeurs qui comptent aujourd’hui comme la liberté, la rationalité, la laïcité et la solidarité ainsi que le sens de l’équité. Elle a aussi inventé une autre valeur qui est la diversité. Cependant cette dernière se retourne parfois contre ceux qui la prônent les cantonnant à un égalitarisme primaire. Or si la diversité veut dire ouverture et tolérance elle est dynamique, si elle signifie égalitarisme « politiquement correct » elle est un contresens et une faiblesse. Les européens n’ont pas tant besoin de mettre en avant ce qui fait leur différence que ce qu’ils ont en commun. Barnavi conclut : » la diversité, une valeur ? non un fait ! »
Par ailleurs, l’Europe a besoin de frontières. Si on demande à un français ce qui fait ce qu’il est, la langue ? la culture ? la citoyenneté ? tout cela à la fois ? c’est aussi un peu plus : « sont français ceux qui se reconnaissent dans une histoire commune et un territoire partagé. » « Tout collectif humain a besoin d’un chez-soi reconnu par lui-même et par les autres ». De ce point de vue l’Europe doit avoir des frontières et ni la Russie, ni la Turquie n’ont vocation a en faire directement partie. Certes ses valeurs sont partagées par des élites de ces deux immenses pays et une part de leur histoire est liée à l’Europe mais cela n’en fait pas pour autant des européens. Barnavi remarque aussi que les plus chauds partisans de la Turquie sont aussi ceux qui sont le plus hostiles à l’intégration politique de l’Europe.
L’immigration : l’actualité d’un vieux problème. Le mécanisme en est simple, on assiste à un transfert de populations énorme et anarchique depuis un Sud jeune et miséreux vers un Nord prospère et vieillissant. On passe aussi de la notion d’émigration à celle de migration comme dans le cas de certains États de l’Afrique sub-saharienne. La mondialisation a accéléré le mouvement, elle ne l’a pas créé. Ces flux sont impossibles à réprimer ou à tarir, il faudra donc apprendre à vivre avec à défaut de les réguler. Or pour l’Europe, tout va se jouer en méditerranée. Ce qui complique tout, c’est que les populations pauvres du Sud sont travaillées par un intégrisme religieux agressif qui s’alimente aux sources du despotisme, de système éducatifs déficients et de la misère. L’idée d’une Union méditerranéenne était une bonne idée, les Allemands et les Espagnols (processus de Barcelone) l’ont fait évoluer vers une « union POUR la méditerranée » moins contraignante, c’est dommage, mais le mouvement est lancé. Cela aura montré que les Européens tiraillés par leurs intérêts personnels ne peuvent s’aligner que sur la plus petit dénominateur commun.
Les Européens ont mal à leur histoire, il se sentent coupables d’avoir trop bien réussi la colonisation et d’avoir manqué la décolonisation. Le néocolonialisme qui a suivi a té pour ces peuples, délétère, faillite des élites, corruption des circuits politiques, révolutionnaires en peau de lapin, drames de la famine et du sous-développement tout se mêle pour former un tableau sombre de la réalité.
Cependant personne ne peut solutionner ce problème. L’Europe n’en a pas fini avec « le sanglot de l’homme blanc » et l’Afrique avec l’impuissance. En France le débat revêt une acuité particulière et E.Barnavi écrit : « L’exception française y ajoute un étrange prurit législatif. Confondant mémoire et histoire, ignorant que celle-là n’est que le matériau brut de celle-ci et tendant à graver dans le marbre la pérennité d’une « vérité historique » par définition réinterprétable à l’infini, faisant ainsi du législateur un historien et du prétoire un jury de thèse, la manie bizarre des lois victimaires pulvérise la nation en communautés mémorielles concurrentes, menace l’historien professionnel de leur vindicte, invite à l’autocensure et rend sans objet le débat intellectuel. » La diversité culturelle affirmée partout accroît la confusion. « Comment faire comprendre aux Européens se demande Barnavi,la différence de nature,non, l’opposition, entre multiculturalisme et diversité culturelle ».
L’histoire récente de l’Europe est encore dominée par les deux guerres mondiales qui ont effacé l’ordre ancien, ouvert à l’équilibre de la terreur fondé sur la puissance nucléaire, puis après la chute du mur de Berlin à un ordre mondial incertain. Avec le 11 Septembre, le monde venait d’entrer dans l’âge du terrorisme de masse qui a défaut d’opposer des États entre eux oppose des idéologies, des religions et se nourrit de la misère des peuples. Face à cela, les puissances hésitent, « dans l’arène internationale, les Américains mettent l’accent sur la puissance, les Européens sur les droits de l’homme, le droit des gens, la diplomatie et le compromis…l’Europe est devenue pacifiste depuis qu’elle a perdu la position centrale qui était traditionnellement la sienne dans les affaires du monde…autrement dit la vertu de l’Europe n’est que faiblesse. »
« Qu’est-ce que l’Europe ? Au niveau des valeurs, une civilisation unique ; du point de vue économique et monétaire, une fédération ; sur le plan diplomatique et militaire, une simple coalition d’États souverains ». Elle n’est toujours pas capable de se doter d’une défense commune parce que cela coûte cher et qu’elle s’est habituée à la sous-traiter aux Américains (200Md’€, soit la moitié du budget US de la défense) quant au pacifisme de principe il reste une idéologie dominante en Europe. Le traité de Lisbonne toujours en panne améliore un peu les perspectives mais avec bien des problèmes de hiérarchie des compétences et des décisions à venir.
Conseils et recommandations de Barnavi :
1.Accepter le monde tel qu’il est pour le faire évoluer.
2.Comprendre l’Europe telle qu’elle est pour mieux l’unifier
3.Admettre que l’Europe telle qu’elle est ne saurait avancer d’un seul pas pour la faire progresser
4.Cesser de faire de l’Europe une créature courtelinesque pour lui faire enfin franchir »la porte sacrée du politique »
5.Donner à l’Europe une âme pour lui gagner l’âme de ses concitoyens
6. Définir des règles de bonne conduite européenne pour assurer que la maison Europe ne tombe pas en quenouille
7. Refaire de l’Europe une grande ambition pour que l’Europe soit, tout simplement