VENISE 53° Biennale

Arrivée à Venise Marco Polo, cette fois, de nuit et sous la pluie. Dernier avion, dernier vaporetto et dans les vitres fouettées d’une petite pluie chaude, Murano, Le Lido et arrivée sur le grand canal. C’est comme s’il y avait eu un préambule, un avant lever de rideau. Les autres fois, on arrivait à Venise par le train ou l’avion et l’on avait une première impression, la ville si petite calée dans sa lagune, la piste d’atterrissage au ras de l’eau et enfin le bateau qui vous faisait entrer par les canaux ouvrant sur les « fondamente nuove ». Là, on était entrés sans voir, directement du hall de l’aéroport au hall de l’hôtel…

((/public/.biennale_m.jpg|biennale.JPG||biennale.JPG, juin 2009)) Le lendemain pourtant c’est toujours le même enchantement, la fenêtre ouverte sur le grand canal, les églises du Palladio : San Giorgio, Le Redentore et même les Zitelle dessinent le fond d’un décor unique, La Salute et la douane de mer marquent la pointe du grand canal et c’est tout un énervement de bateaux divers, de vaporetti, de gondoles, de barques de chargement, de « kris krafts » luisants et de gros paquebots qui se croisent comme des carpes dans un bassin japonais. L’eau change de couleur avec le ciel, tantôt verte, tantôt sombre, tantôt bleue de porcelaine, c’est l’inexplicable lumière de Venise qui attira tant de peintres et fit de la peinture de Venise le rendez-vous de la couleur et des coloristes : Le Titien, Tintoret, Véronèse. Du reste lorsqu’on lève la tête à Venise, on ne voit pas seulement des monuments, des palais, des églises, on voit des peintures, on voit Guardi, Longhi, Canaletto. Dans « la Recherche » Proust regardant les peintures au musée y reconnaissait le manteau de Fortuny offert à Albertine et à St Marc encore, il reconnaît à côté de lui une vieille femme qu’il avait vue dans le tableau de Ste Ursule du Carpaccio. Venise est un roman, c’est connu et aussi un musée. Belle occasion d’aller vérifier aux « Giardini » si la création contemporaine est à la hauteur de ce défi. Disons-le tout de suite, l’édition 2009 semble un peu en retrait sur les éditions précédentes, le jeune commissaire suédois, Daniel Birnbaum, tout auréolé de ses précédentes présidences de biennales à travers le monde s’est donné ici une maxime : « Fare Mundi », faire monde, puisqu’il faut désormais à ce genre de rencontre un thème fédérateur. Faire monde ! On a vu des ambitions plus modestes ! mais je m’égare, « mundi » est un pluriel et c’est donc « faire des mondes » qu’il faut entendre en écho au livre de Nelson Goodman abondamment cité : « Manières de faire des mondes ». Des mondes donc. Chaque artiste étant invité à montrer moins des œuvres que des univers. Commençons par le pavillon français dont on sait tout, déjà, avant de le voir et du reste la visite n’apporte rien qu’on ne savait déjà. On avait connu Claude Lévêque plus subtil, plus fragile, plus fort, dans quelques œuvres touchantes mêlant enfance et imaginaire, ici on a l’impression qu’il a voulu forcer le trait et puisqu’il s’agit de représenter la France à l’international, allons-y pour son meilleur produit d’exportation : la Révolution, le « grand soir » appelé de leurs vœux par les anarchistes. Le pavillon plongé dans le noir est éclairé d’ampoules en partie haute qui réfléchissent un décor argenté ; L’intérieur est cerné de grilles d’acier à la façon des tunnels où on lâche les fauves dans les cirques sur un plan en croix de sorte que chaque tunnel (a part celui de l’entrée) aboutit à une impasse, une grille derrière laquelle flotte un drapeau noir luisant projetant son ombre encore plus sombre sur le mur. Le message est clair, semble-t-il : le « grand soir » est une impasse. Ah bon ? Certes Levêque a répondu à la question posée, mais par un lieu commun. Bruce Nauman n’est aux « Giardini » guère plus convaincant, il faudra aller jusqu’à la Ca’Foscari pour voir se déployer sa véritable dimension avec des pièces anciennes comme les ronds de fumée, la cage de fer ou le chemin sonore. Ici, la belle enseigne lumineuse, « The True Artist Helps the World by revealing Mystic Truths » de 1967 est comme engoncée et l’ambition, des commissaires de présenter quarante années de création est singulièrement étriquée et convenue. Mais il est vrai qu’on voit beaucoup de néons, de fontaines, les séries de mains et ce n’est pas son moindre mérite que de les rassembler afin d’en avoir une vue d’ensemble, occasion assez rare pour se convaincre que l’on a là affaire à un artiste singulier qui, bien entendu, à un monde à lui, dans lequel les correspondances entre le formel, l’émotionnel du corps et de l’idée se mêlent en des relations aux modalités infinies. Nettement plus convaincant et réussi est le pavillon polonais (Krzysztof Wodiczko) qui présente une série de videos murs et plafond où sur fond de murs transparents et opaques inscrits dans des ouverture en voûtes s’activent des immigrés sans papiers voués aux petits métiers de la débrouille et de l’usage. Un texte commente cette situation, c’est fort, c’est beau, c’est touchant et réussi, sans doute la proposition la meilleure quant au sujet et à la démonstration. Mon coup de cœur en revanche ira au pavillon russe : Alexei Kallima le Tchetchène et ses foules vociférantes qui réunies au stade réveillent le souvenir d’autres foules et d’autres temps autrement terribles mais comparables au fond. Il y a aussi cette victoire de Samothrace qui se colore de pétrole ou de sang ou les deux, une évocation assez terrible des conflits dans le Caucase. Et enfin il y a Pavel Pepperstein, une véritable découverte, un dessinateur hors pair qui joue avec les codes du suprématisme russe et avec les symboles de l’histoire soviétique. À noter encore la visite (sans surprise) du pavillon espagnol où exposait Miguel Barcelo dont je retiendrai le formidable talent de sculpteur, pour l’instant de vases et récipients mais l’exemple de son corps à corps avec le chorégraphe Joseph Nadj ouvre de nouvelles et remarquables possibilités. La visite à l’arsenal est plus terne, après un accueil là aussi dans le noir, la belle œuvre de Ligya Pape éclaire d’un rayon doré un plateau sombre comme des rais de lumière. C’est du reste ce que je retiendrai, cette lutte de l’obscurité et de la lumière qui semble hanter ces bâtiments depuis longtemps. Et puis ce sont les miroirs brisés de Pistoletto comme une métaphore d’un visible qui n’est plus représentable. Etonnamment, cette œuvre fait écho à la video de Steve Mac Queen au pavillon anglais, tout orientée sur le vide, le silence, les déchets entassés dans les Giardini une fois la fête finie. Les pavillons sont vides et déserts, leurs fenêtres sont protégées par des planches clouées, les arbres ont perdu leurs feuilles et quelques chiens, très beaux du reste, des Sloughis sans doute, lévriers superbes, fouillent les détritus. Le temps de cette vidéo est lent, sans aspérité, quelques silhouettes furtives passent dans la nuit, un visage éclairé par une cigarette, une étreinte d’hommes et puis rien, comme si le vertige de l’art dissipé, les jardins rendus à leur nuit, le monde qui était le sujet de la biennale était rendu à son indifférence, à sa grisaille, à son quotidien indiquant assez qu’il ne suffit pas de «faire des mondes » pour « faire un monde ». Conclusion somme toute assez pessimiste de cette biennale dont on retiendra encore Elke Kristufek au pavillon autrichien et Tomas Saraceno avec son immense toile d’araignée au pavillon international. Et ce n’est pas l’univers (le monde) de village africain à l’heure de la video, assez réussi de Pascale Martine Tayou marquant l’hybridation des cultures bien plus fortement que nos discours sur la diversité qui y changera quelque chose. Et puis le soir, soudain, alors que rien ne le laissait prévoir, voici « l’aqua alta » qui se met à sourdre des puits d’évacuation place St Marc et ailleurs en ville. Les vénitiens blasés ressortent leurs bottes, les touristes pataugent, leurs souliers à la main, et la basilique St Marc dans le soir tombant se reflète dans l’eau comme en un miroir. C’est magique et légèrement angoissant. Plus loin les gondoles secouées par la houle qui monte et l’eau qui affleure le sol se dandinent sous leurs capes bleues, un bonheur pour les photographes ! On se hâte malgré tout vers les hôtels. Le lendemain tout est rentré dans l’ordre…jusqu’à la prochaine fois. L’événement pourtant cette année, ce ne fut pas tant la biennale elle-même que l’inauguration et l’ouverture au public de la « Dogana de Mare » où la fondation Pinault expose un ensemble d’œuvres remarquables dans un lieu restauré par l’architecte japonais Tadeo Ando. La réussite de l’ensemble saute aux yeux, les artistes présentés, notamment les frères Chapman, l’italien Maurizio Catelan, sont de première importance et l’on se dit que vraiment la France, en compliquant à plaisir le projet de F.Pinault à l’île Seguin Paris a raté une formidable aventure. Mais cependant à quelque chose malheur est bon, il y a là une opportunité à saisir. Au fond en installant sa fondation en deux lieux inspirés de Venise, le Palazo Grassi et la Dogana, Pinault ne fait pas autre chose que ce que fit au lendemain de la guerre Peggy Guggenheim en installant sa collection à Venise. Rappelons-nous, la France alors pensait naïvement que l’école de Paris était la plus importante au monde et en couronnant Rauschenberg, la biennale de Venise marqua la définitive suprématie du Pop Art américain sur l’art français. Le porte-avion que constituait la fondation Guggenheim, resta définitivement ancré sur le grand canal. La fondation Pinault pourrait représenter pour l’art français enfin une opportunité mondiale qu’il n’a pas connue depuis longtemps, mais il faudra beaucoup de diplomatie et d’entregent pour que le milliardaire Pinault accepte d’amener le drapeau breton qui flotte sur ses établissements vénitiens et hisse enfin le drapeau français ! Sinon, nous ferons encore rire à nos dépens et à ceux des artistes français. Réflexion faite, je ne quitterai cependant pas Venise sans aller une dernière fois voir « mes » Carpaccio à San Giorgio degli Schiavoni. Un lieu inspiré d’un temps où la peinture se posait moins de questions sur elle-même et où elle régnait en souveraine de la représentation

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