La photographie officielle des nos présidents est loin d’être un acte anecdotique, elle est en fait, le premier signe officiel par lequel l’intéressé envoie un message aux Français sur ce qu’il est, sur l’image qu’il veut donner de lui-même, sur l’idée qu’il se fait de sa fonction. Le photographe qui capte cet instantané y ajoute sa touche personnelle, amplifie ou réduit la portée du message selon que son style est plus ou moins affirmé.
Avec De Gaulle commence la tradition. Le Président a revêtu son habit d’officier général en civil, il porte les décorations officielles et il pose sur fond de bibliothèque, main droite appuyée sur deux livres. Les symboles sont forts : le pouvoir et ses insignes, la loi dans les livres, l’histoire dans la bibliothèque et l’homme dans la stature du commandeur prêt à diriger un grand pays. Ce modèle solennel sera repris en plan un peu plus rapproché, mais à l’identique par Georges Pompidou qui choisira une photographe de Paris Match pour opérer. Mais on voit bien que le second cherche à mettre ses pas dans ceux du premier. Avec Valery Giscard D’Estaing, arive la rupture, plus de livres ni de bibliothèques, plus d’anecdotes mais un symbole fort, le drapeau français déployé horizontalement, le costume de ville avec les décorations officielles à la boutonnière de manière discrète, un corps cadré aux épaules et un visage esquissant un léger sourire, c’est l’image rajeunie de la fonction et c’est l’image de la modernité. Le photographe J-H Lartigue opère là, en artiste. François Mitterrand, lui reviendra à la tradition du portrait posé. De nouveau, la bibliothèque, le costume de ville et la décoration à la boutonnière, mais l’homme est assis et a un livre ouvert entre les mains, et pas n’importe lequel : « les Essais « de Montaigne. Mitterrand, dans sa bibliothèque, pose en lecteur qui lève un instant les yeux vers son peuple et on peut imaginer qu’il va, tout de suite après, reprendre sa lecture. Le choix de la photographe, Gisèle Freund, celle qui a photographié les plus grands écrivains de son siècle n’est pas non plus indifférent. L’image envoyée est ici celle d’un président cultivé et aimant la culture. Ce sera aussi la part la plus significative de son legs. Avec Jacques Chirac, on change de style, on quitte la bibliothèque et l’on va dans le parc. Chirac pose en costume de ville sur fond de façade du Palais de l’Elysée, légèrement décontracté et bienveillant comme un hôte qui attend le peuple en son château de province. On sent que c’est là qu’il est le plus à l’aise, et l’on ne serait pas surpris de voir gambader des chiens autour de lui. Sa photographe, Bettina Rheims plus habituée à photographier des nus, donne là, un portrait de genre. Nicolas Sarkozy, lui, revient en bibliothèque, mais ce qui frappe dans sa photo, c’est, (pour la première fois), la présence écrasante de deux drapeaux, français et européen qui lui disputent la préséance et on le sent comme intimidé d’un tel voisinage. Pour cette photo, c’est Philippe Warrin, un photographe plus habitué des plateaux télé qui signe le cliché. Enfin, François Hollande qui a choisi Raymond Depardon pour photographe, renoue, lui , avec une posture Chiraquienne, mais plus bonhomme, moins hobereau dans le style. C’est un homme dit « normal » qui, bras ballants, foule la pelouse d’un parc qui pourrait aussi bien être une prairie de comice agricole ou de fête de la rose, n’était la haute façade lointaine de l’Élysée décorée de drapeaux (là encore français et européen) posés en étendards sur les murs. Depardon, justement, imposant le format carré avec lequel il a saisi les paysages de la France profonde et les portraits des paysans qu’il affectionne fixe sa vision du président. Il y a là quelque chose qui rappelle un certain Mitterrand de la « Force tranquille » et l’on se demande en fin de compte si François Hollande n’incarnera pas un mélange du style Mitterrand des villes et Chirac des campagnes, ce qui ne serait pas si décalé que cela par rapport à ce qu’est la France profonde. On notera aussi que si la nature revient au premier plan, la culture, elle, reste dans l’antichambre…ou dans la bibliothèque. Mais là-dessus, l’avenir nous instruira.