MORALE DE L’HISTOIRE

Le nouveau ministre de l’Éducation nationale a frappé un grand coup en annonçant dans le « Journal du dimanche » son intention de mettre l’enseignement de « la morale laïque » à l’école . Car la morale dit-il « c’est comprendre ce qui est juste, distinguer le bien du mal, c’est autant des devoirs que des droits, des vertus et surtout des valeurs.»

Il est vrai que cette « dimension » de l’éducation, davantage que « matière d’enseignement » a longtemps été intégrée dans le projet de l’enseignement. Les congrégations religieuses, sous l’ancien régime, l’y avaient, les premières, intégré, la Révolution y substitua le culte de la raison selon le vœu de J-J Rousseau et la III° République confia aux « Hussards noirs » (les instituteurs) le soin de former ces citoyens capables de choisir leurs représentants et de former leur jugement critique. Cela, c’est la belle histoire que la République se raconte à elle-même lorsqu’elle évoque Jules Ferry, l’école gratuite et obligatoire, l’égalité de tous devant le savoir. Tous les ministres, peu ou prou ont rêvé de retrouver cette adéquation parfaite d’une école accordée au modèle social et politique républicain représentant un progrès pour la société et l’individu. Aussi bien, l’actuel ministre met-il ses pas dans ceux d’illustres prédécesseurs. Ce faisant, il envoie aussi un signal politique, celui d’un modèle socialiste où l’individu s’étant peu à peu affranchi de tous les déterminismes sociaux et culturels « de la famille, de l’ethnie, de la religion ou de la coutume » redevient ainsi l’atome social pur, propre à être modelé par l’éducation dans le sens de la citoyenneté raisonnable. C’est bien là l’inspiration rousseauiste qui irrigue cette conception depuis deux siècles, conception qui, si son intention est louable a connu aussi de terribles dérives totalitaires au XX° siècle. Et l’on comprend bien qu’une telle idée puisse être évoquée, confrontée qu’est l ‘école aujourd’hui, à l’incivisme, l’intolérance, le racisme, l’antisémitisme, la violence qui a fait entrer la société avec tous ses travers dans la salle de classe. Souvent, lorsqu’il faut bien constater que les parents ont démissionné, que les repères sociaux et moraux sont perdus ou absents, on se prend alors à rêver d’une école « institutrice » du comportement social et de la normalisation des conduites sous l’angle du bien. Mais est-ce vraiment le rôle de l’école de remplacer les parents et d’un cas particulier faire une disposition générale ? En d’autres termes, est-ce à l’école d’enseigner une morale ? Car, sans prôner le relativisme en cette matière, on conviendra aisément qu’il y a débat entre le singulier et le pluriel, « la » morale et « une » morale. En effet, la « morale laïque », n’est pas n’importe quelle morale. Et si l’on se rappelle les mots de l’ancien président disant que pour ce qui est du bien et du mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, on peut conclure facilement que tout le monde ne partagera pas la même conviction. Par ailleurs, à l’heure où les convictions religieuses se marquent plus fortement qu’auparavant, la notion de valeur, les références au bien et au mal, risquent d’être appréhendées de façon différente par les uns et par les autres. Vouloir prôner une « morale laïque » ce n’est pas seulement prôner la laïcité comme espace de tolérance garantissant la liberté de conscience, c’est aussi proposer, « imposer » dirons certains, une vision particulière de la morale dans laquelle ils verront un possible endoctrinement susceptible de heurter croyances et convictions. On voit bien qu’à tout le moins, il y des précautions à prendre et la pratique qui se développe aujourd’hui de nommer des commissions pour tout, paraîtra ici de bon sens. Il convient de réfléchir avant de donner une telle responsabilité aux enseignants qui devront faire abstraction de leurs propres convictions afin de se garder de toute instrumentalisation morale. Il est évident alors qu’il faut commencer par « former des professeurs » à cet exercice , car avant de délivrer des leçons de morale, l’école doit avant tout former les jeunes esprits au jugement et à la capacité de juger, c’est-à-dire à développer l’esprit critique, non seulement en regard des croyances mais aussi des doctrines de toute sorte. En somme la transmission du savoir doit aller de pair avec le développement de la faculté de juger et de penser par soi-même. Quant à juger du bien et du mal, on suggèrera de s’en tenir à cette maxime de Kant : avant d’agir, demande-toi si de ton action tu peux tirer une loi universelle. Mais cela les professeurs de philosophie l’enseignaient déjà en terminale. Et pour ce qui est de « former des citoyens » le cours d’instruction civique convient tout à fait. On comprendra alors qu’il faut peut-être laisser la morale au cœur des livres où elle se niche et s’enseigne naturellement et ne pas ajouter une cause de déchirements supplémentaire, car introduire le Bien et le Mal dans les questions d’enseignement, c’est introduire un conflit annoncé. En somme, si l’État a la responsabilité d’instruire, il ne saurait se substituer aux familles pour ce qui est d’éduquer, sauf à la marge sans doute et pour les cas extrêmes. À vouloir le faire, il s’expose beaucoup et n’est probablement pas armé pour le faire. Mais laissons les commissions d’experts délibérer et gageons que cette disposition n’est pas pour demain.

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