RODEZ/MUSEE SOULAGES

On le savait depuis longtemps, depuis l’épisode des « vitraux de Conques », c’est à dire, depuis une vingtaine d’années, qu’il y avait entre Soulages et la ville qui lui a donné naissance, Rodez, une histoire tellement personnelle qu’elle devait aboutir un jour ou l’autre à une rencontre qui changerait le visage de l’une et de l’autre.

Ce moment est arrivé avec la réalisation du projet de musée dont Soulages a finalement accepté le principe sous l’insistance du maire de la ville à l’époque où les choses se sont décidées, marc Censi, lesquelles, après ce long temps nécessaire ont fini par donner cette réalisation audacieuse et remarquable pour une ville d’un peu moins de trente mille habitants. Il faut dire et y revenir, que les vitraux de l’Abbatiale de Conques sont une réussite d’autant plus inattendue qu’elle s’est donnée comme un déni à la tradition, celle de l’Abbé Suger, qui depuis Saint Denis et le fond du Moyen-âge avait fait des vitraux une sorte de chant religieux un cantique de lumière chanté par les anges. En prenant le contrepied de la couleur, non pour la faire oublier mais pour rappeler au contraire qu’elle vient de la lumière, Soulages a su trouver la réponse à l’esprit du roman, si dépouillé et si rigoureux qui s’inscrit dans les courbes parfaite de l’abbatiale. Son choix de verres translucides, si minutieux, si parfait qui s’inspire des couleurs de l’albâtre mais vire à la couleur du pain brûlé au soleil et au contraire retrouve les bleus de la nuit au crépuscule est une révélation et dans le registre sobre où la couleur absente révèle ses nuances, on entend comme les mélisme du chant grégorien qui lui aussi confie à la variation la rareté des notes et des tons qu’il module à l’infini. La conception qu’ont eue les architectes catalans de RCR issus d’un rigoureux concours d’architecture international, est tout aussi juste et rigoureux qu’il est possible et d’une manière qui surprend. Non point que la couleur de l’acier Corten ne convienne pas à l’harmonie des grès roses des constructions ruthénoises, mais parce qu’il évoque directement la rigueur des masses posées en d’autres endroits par cet immense plasticien qu’est Richard Serra lequel est présent de manière permanent de l’autre côté des Pyrénées, non en Catalogne, mais au pays Basque à Bilbao. Mais ici, ces cubes de fer, judicieusement posés à l’arête de la ville ancienne et de la ville nouvelle sur l’espace de l’ancien Foirail dont ils marquent en quelque sorte l’absence et la fracture, sont architecturalement d’une grande justesse. On sait que Soulages y fût attentif, comme il fut attentif aussi à la conception du musée lui-même dont les volumes, l’atmosphère et les matériaux sont remarquables. Sols en métal, calepiné avec art, couleurs sombres sinon noires, éclairages subtils, volumes justes, atmosphère adaptée, cela est tellement vrai qu’on a l’impression qu’il faut à cette œuvre son écrin sans lequel elle risque d’apparaître autre qu’elle n’est et donner lieu à tous les malentendus. C’est particulièrement vrai pour la série des « outrenoirs », ces peintures dans lesquelles Soulages tente d’apprivoiser la lumière par simple ricochet ou réflexion et qui m’avaient paru si répétitives, si fermées sur elles-mêmes lors de la dernière exposition au centre Pompidou et qui, ici paraissent si tranquillement à leur place. Il faut dire que l’on pénètre d’abord dans une salle sombre où est exposé l’un des meilleurs moments créatifs de la longue carrière de Soulages, les années soixante, durant lesquelles il explore à fond les ressources de la lithographie, de l’eau forte et même de la sérigraphie avec une efficacité remarquable. Il a du reste donné nombre de ses épreuves d’artiste au musée et nombre de plaques gravées qui sont autant de sculptures. Du reste ses dons en œuvres atteignent semble-t-il une valeur de 70 millions. Le résultat est là, il s’agit d’un très beau musée qui, chose intéressante couple ses billets avec ceux pour le musée d’archéologie Fenaille où se trouvent les célèbres statues-menhirs du Rouergat, uniques en leur genre ainsi qu’avec le musée des Beaux-arts. Qu’une telle ville moyenne puisse faire un tel pari doit être salué, que les élus soient aussi inquiets de l’équilibre de leurs comptes après de tels investissements est légitime, mais après tout, lorsqu’on se promène dans cette ville et que l’on voit les bâtiments qui ont jalonné son passé, à commencer par son étrange cathédrale de grès, on se dit que la tradition de ce coin de France est à l’ambition et au courage et aussi à un certain sens de la splendeur. Cela mérite à tout le moins un voyage.

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