Pourquoi la culture est absente des programmes présidentiels ?

Chacun peut le constater, au-delà d’une liste de mesures à prendre dans leurs programmes, aucun candidat ne formule un projet culturel ambitieux pour la France comme tel. Rien d’étonnant à cela, l’économie, la stratégie, la défense, la question de l’immigration, le chômage, sont davantage sur le devant de la scène. Pas de projet culturel d’ensemble donc qui structure le discours des politiques et le soutienne. Aurions-nous affaire à une classe politique moins cultivée qu’avant ? Rien n’est moins sûr. S’agit-il alors de désintérêt ? Sans doute pas davantage. Quoi alors ?

Personne ne semble avoir remarqué que les politiques culturelles en France constituent depuis 50 ans un socle solide de notre pays, l’État s’y est en effet reconnu une responsabilité culturelle comme il s’était reconnu une responsabilité éducative. La culture est en France depuis longtemps une affaire d’État. Aussi aujourd’hui, devant les infrastructures culturelles crées, le nombre d’équipements culturels sur tout le territoire, les financements qu’il faut leur apporter, l’aide à la création, le coût de l’entretien du patrimoine, l’ouverture aux nouvelles technologies et la communication, les politiques savent qu’il leur reste bien peu de marges de manœuvre. Chaque ministre de la culture découvre effaré, que son budget est gagé à plus de 90 % et qu’il ne peut disposer comme marge de manœuvre que des moyens chichement dispensés par Bercy, on appelle cela des mesures nouvelles. Rien d’étonnant donc que tous les candidats nous listent à peu près tous: le Patrimoine, la Jeunesse, les Intermittents du spectacle, comme si à cela se résumait l’ambition culturelle pour la France. On se rappellera il y a pas si longtemps, lorsque la gauche arriva au pouvoir en 81, qu’un ministre de Mitterrand à peine nommé à la culture, déclara non sans emphase qu’on allait « passer de la l’obscurité la lumière. » Cela fit rire à l’époque mais personne ne s’était avisé que celui-ci allait créer dans la population par ses déclarations et son enthousiasme, ce qu’on appelle un horizon d’attente culturel, c’est-à-dire un espoir collectif. En homme politique averti, le président Mitterrand, davantage intéressé par la littérature que par les arts, comprit tout de suite le pari qu’il pourrait tirer de cette situation. Il comprit qu’il fallait parler aux français de leur culture, leur redonner une ambition, un élan, une force nouvelle. Il doubla le budget de la culture au moment où les finances de la France n’étaient pas au mieux. La conséquence ne se fit pas attendre ; une nouvelle dynamique, une nouvelle jeunesse, une nouvelle envie se dispensa dans le corps social à l’endroit de la culture, des arts et spectacles. Le président conçut même l’idée d’être le plus grand président bâtisseur d’établissements culturels de la Ve République : Dix grands travaux culturels furent engagés dès la première année, de l’Arche de la défense à la pyramide du Louvre. On dira ce qu’on voudra, mais cette période qui s’étala environ sur dix ans, fut comparable, a celle qui vit De Gaulle et Malraux aux affaires de l’État, lancer la première politique culturelle structurante du pays. C’est que l’art, aide à comprendre et à supporter le réel en le transfigurant dans des formes accessibles à tous, c’est la culture qui aide à mieux supporter notre condition d’hommes et de femmes voués au présent. L’esthétique qu’ils dispensent intensifie le sens de la vie en société, lui donne de la visibilité, de l’énergie, de l’avenir, restitue le sentiment de compter encore dans le temps présent, dans le concert des nations où dominent les grands standards de la culture internationale. Ceci à l’évidence, relève bien d’un projet politique. Être capable de dire cela au peuple comporte une ambition collective et une représentation culturelle de celle-ci, c’est lui dire qu’il a une âme à un moment où on lui dénie toute ambition de compter dans le temps présent et où l’on confine la culture ambiante à l’identité au sentiment de culpabilité, à la repentance et au ressentiment, comme si ne savions plus qui nous étions. C’est pourquoi ce n’est pas une fatalité que La culture passe au second plan. Au moment où l’on célèbre avec des sentiments mitigés, l’anniversaire de l’Europe, il faut se souvenir de ce mot de Jean Monnet : « nous aurions dû commencer par la culture ». Rappelons à nos candidats à la Présidence, ce mot, quand il est encore temps ; l’économie n’est pas tout, elle n’est même rien, si elle n’est pas soutenue par une grande ambition culturelle.

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