Chaque année, à la même époque, Cannes déroule le tapis rouge sur lequel depuis 1946, des milliers de stars sont venues pour la montée des marches élevant ainsi au rang de mythe ce bout de moquette, piédestal des toutes les gloires médiatiques.
On ne peut que faire le rapprochement avec un événement qui s’est produit, une semaine avant, comme il se produit tous les cinq ans et toujours au même moment avec l’intronisation d’un nouveau président élu. Lui aussi a eu droit au tapis rouge et d’une façon encore plus discriminante puisque ne peuvent le fouler que celui qui s’en va et celui qui arrive. C’est que la cérémonie de l’intronisation d’un Président de la République revêt chez nous la puissance d’un sacre. Par ce geste et par ce geste seul, celui qui n’était qu’élu est élevé et reconnu comme tel. C’est ainsi et tous les présidents qui se sont succédés ont, d’une manière ou d’une autre, connu cette transformation comme l’onction faisait descendre l’aura divine sur la tête des Rois. La République change les usages mais non la fonction, C’est que cette laïcisation de la cérémonie obéit aux mêmes besoins de légitimation rituelle que l’ancienne et produit la transfiguration de l’intéressé qui devient ainsi l’incarnation de la nation et son symbole vivant. Mais, est-ce manquer au respect que de poursuivre cette analogie entre l’entrée de l’acteur dans son personnage pour un Président et celle d’un comédien dans son rôle ? Certes, pour ce qui est du spectacle, nous connaissons la pièce, les répliques, il restera à jauger l’acteur. En ces circonstances, le moindre faux-pas est rédhibitoire, on l’avait vu avec les prédécesseurs de l’actuel Président : trop de familiarité avec le cérémonial pour l’un, trop de morgue pour l’autre (on se rappellera ces talons tournés alors que son prédécesseur n’avait pas encore quitté la cour de l’Élysée), ces manquements firent à l’époque froncer le sourcil des observateurs et des Français en général. Cette fois, l’acteur était quasi parfait, la retenue, la gravité, la lenteur, la connaissance des arcanes du pouvoir, le respect des usages et des rites, il n’y avait rien à dire. Quant aux discours prononcés d’une voix assurée tout au long de la journée, ils avaient enfin une profondeur de vue et une qualité de pensée qui tranchaient avec ceux de ses meetings. Une langue impeccable qui nous changeait de ce français maltraité par son prédécesseur. J’ai même noté le mot de « palimpseste » prononcé dans la journée dont je me demande combien de personnes en ont saisi le sens, bref il y avait du changement dans l’air. Que s’était-il donc passé ? Comment un tel changement avait-t-il pu se produire ? La réponse tient au théâtre républicain ; la fonction transcende l’individu qui en est investi. Bien entendu, il ne nous échappe pas que cela n’avait rien d’improvisé, que tout avait dû être préparé, répété, encore fallait-il que l’acteur soit à la hauteur où son rôle le place. Et c’était le cas. Il fallait observer le visage de cet homme largement diffusé à l’écran, tour à tour grave et souriant, les yeux froids et le nez droit rappelaient le Napoléon au Pont d’Arcole peint par Gros car il y a du Bonaparte chez ce Président, nombreux sont ceux qui l’ont remarqué. Les effets du tapis rouge cependant s’arrêtent là, ils fixent une image. Demain sera un autre jour, la distribution des rôles est en cours, le scenario est écrit, il reste à tourner le film. Il est trop tôt pour dire s’il obtiendra la Palme d’or cannoise, mais la montée des marches qui y conduit aura été impeccable.