CEZANNE AU MUSEE D’ORSAY

[((/public/.Vallier_t.jpg|296903|L|296903, juin 2017))|/public/Vallier.jpg||296903]Tout grand peintre au XIX°siècle se devait de maîtriser le paysage, la nature morte et le portrait à des degrés divers de l’excellence, certains étant plus portraitistes comme Ingres ou Manet, d’autres plus paysagistes comme « l’immense Pissarro » selon le mot de Cézanne lui-même. Lui, d’évidence, il était les trois, même si le paysagiste de la Sainte Victoire nous reste le plus familier. Raison de plus pour aller admirer ces cents soixante toiles venues des musées du monde entier que présente le musée d’Orsay tout l’été.

Ce qui frappe tout d’abord c’est que Cézanne ne peint pas un sujet ou un visage une fois pour toutes en saisissant d’un coup l’âme du personnage comme le font Ingres ou Velasquez, non, il peint des séries du même portrait ou de lui-même : vingt-six fois son visage, vingt-neuf fois Hortense sa femme, comme Rembrandt, Bacon ou Picasso, cherchant sans cesse revenant sur les lieux du visage, fouillant les émotions, les humeurs changeantes, les pensées fugitives comme devant un paysage de la Sainte Victoire plus tard qui change sous la lumière des heures et des saisons. Moralité, le visage est un paysage devant lequel, le peintre traque l’invisible. Au début, au milieu des années 1860, il peint des portraits lourds, empâtés, travaillés au couteau selon une technique reprise de Courbet, cherchant à dégager la vérité de la matière peinte, ainsi ce célèbre portrait d’Achille Emperaire parodiant le Napoléon d’Ingres, mais cela ne dure qu’un temps. Bientôt (à l’époque de la Commune), il quitte Paris et s’établit à Aix où il trouvera sa lumière, ses sujets, le lieu où pour lui souffle l’esprit de la peinture. Alors, cette touche épaisse s’amincit ; se liquéfie, se fait plus légère, le coup de pinceau dont on repère vite l’épaisseur succède au couteau, comme si le peintre hésitait à remplir la toile, comme si l’essentiel était déjà atteint dès l’esquisse et qu’il fallait non le compléter, mais le préserver, car on le sent, le tableau fuit sans cesse l’exigence du peintre qui le poursuit dans la couleur. C’est dans cette note bleue, un peu violette parfois, tournant aussi au vert qu’apparaît alors et peu à peu, la « palette » du peintre, ces éléments de langage qui ne sont qu’à lui avec lesquels il va pouvoir nous parler. Cette touche on la voit apparaître dans les robes à bandes de satin de Madame Cézanne, dans l’ombre des nappes de ses natures mortes, dans les premiers paysages de la sainte Victoire. La couleur, voilà, avec « le motif », la grande affaire de Cézanne. Il ne peint que ce qu’il ressent et laisse le reste en retrait, il y arrive peu à peu par reprises, repentirs, par maîtrise et les blancs de la toile ne sont plus des surfaces non peintes, mais des espaces devenus couleur par continuité et voisinage. Comment va-t-il à la vérité des sujets ? Par le visage certes, mais aussi par le vêtement. Qui a su rendre comme lui la nature du tissu lourd dont sont faites les vestes qui sont comme celles qu’il porte, on les voit dans ses portraits photographiques, si semblables à celles de son époque ; vestes de travailleurs, de pauvres gens, de gens simples, vêtements de « tous les jours » aussi pesants de mémoire et de gestes que le sont les « souliers » de Van Gogh. Ces vêtements qui disent la forme et la fatigue des corps ou bien la convenance et la « tenue », ceux des joueurs de cartes comme ceux d’Hortense, prennent si bien la lumière qu’ils en deviennent à leur tour des portraits. Le trait, le contour dont Cézanne s’affranchira si bien dans les aquarelles du Jas du Bouffan ou de la Sainte Victoire plus tard qui encadrent simplement la lumière vibrante des nuances d’aquarelle à peine visibles, couleur alors à peine séchée, déjà évaporée. Mais, venons-en aux autoportraits, les italiens disent « Rittrato » comme on dirait retrait et c’est bien ainsi que se donne et se retire Cézanne. Une toile particulièrement le montre de trois-quarts (c’est du reste le plus souvent ainsi qu’il se peint, on devrait dire qu’il se regarde et se voit) en peintre, le bras horizontal tenant la palette d’un pouce passé dans l’encoche prévue à cet effet. Ailleurs c’est le visage seul qui peu à peu laisse monter un front de plus en plus dégarni et des yeux de plus en plus anxieux et mélancoliques comme s’il montrait par là son doute, sa crainte de passer à côté de l’essentiel. Je ne connais pas d’autres autoportraits, à part ceux de Rembrandt qui inspirent ce sentiment. Et puis, il y a ce portrait du « Jardinier Vallier » de 1906, sur lequel il revient jusqu’à sa mort et qui est aussi probablement un autoportrait. Jardinier Cézanne ? Sans doute en ce sens qu’il cultivait ce jardin particulier qu’est une toile qu’on arrose avec des couleurs et même avec cette couleur qui est absence de couleur ; « Cosa mentale », énigme du visible qui se donne en son retrait.

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