LES GENS

Quiconque a visité un jour un musée, à fortiori une exposition évènementielle n’aura pu qu’être frappé par le comportement des visiteurs. Passons sur ces troupes qui arpentent les musées courant vers les chefs-d’œuvre comme vers la terre promise suivant leurs guides estampillés de plus en plus souvent munis d’oreillettes où se recueille l’attention des propos qu’on diffuse « mezzo voce » ce qui est un progrès, mais qui regarde quoi ? Et qui regarde vraiment ? On peut se le demander. La foule s’écoule en flot continu comme le promeneur du dimanche fait les vitrines de Noël, sans trop pouvoir s’attarder car « ça pousse derrière » et il ne faut être ni trop près ni trop loin pour s’assurer de pouvoir voir ce qu’on veut voir. Dans le premier cas, on vous rappelle à l’ordre, dans le second, vous voyez le tableau derrière des nuques et des dos, ce qui, on l’admettra en perturbe un peu la contemplation.

Observons donc « aussi » le comportement des visiteurs d’exposition, ainsi cette dame qui désigne à sa compagne, dans une vitrine un carnet de dessins, dont elle détourne immédiatement le regard, tranchant d’un ton définitif : « c’est bien ça ! » en passant distraitement à autre chose. Qu’a-t-elle donc retenu de si bien ? Sans doute le fait qu’un carnet de croquis est en soi intéressant et qu’il est plus important de le dire que de le regarder attentivement. Plus loin, on capte des bribes de conversations qui n’ont rien à voir avec le sujet de l’exposition mais permettent aux gens venus par curiosité de parler des dernières nouvelles et potins domestiques dont vous devenez « in petto » les témoins. Pourquoi pas après tout. Plus loin un téléphone sonne et un monsieur met un temps fou à le trouver dans ses poches ce qui vous énerve plus qu’il ne conviendrait. Mais il y a pire. C’est la manie de photographier. Tous s‘y adonnent, jeunes ou vieux, vous imposant la distance le temps du cliché ou y revenant plusieurs fois, puis se détournant aussi vite et attaquant le tableau suivant avec la même détermination. Prendre des clichés, prendre sans regarder autre chose que l’écran lorsqu’on prend la photo est typique de l’époque ; s’approprier d’abord pour en jouir plus tard ou bien l’oublier dans « sa bibliothèque » virtuelle, mais l’avoir, le posséder, voilà l’important. Malgré tout c’est Daniel Arasse qui nous a appris qu’on voyait mieux la peinture et ses détails sur cliché, mais cela suppose, et c’était son cas, une bonne connaissance « de visu » d’abord. C’est ainsi que les choses se passent tout le monde peut en faire l’expérience. On se dit que la culture qui se dispense de cette manière par un accès généralisé et distrait aux biens que nous dispensent les arts transforme comme on sait l’art en culture, c’est-à-dire en un certain sens en contraire de lui-même. Dure leçon pour ceux qui ont passé leur vie à faire de la culture un passage vers l’art. Mais ainsi va le monde, et la culture au culturel comme les fleuves à la mer.

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