VENISE (suite) DAMIEN HIRST ENTRE RAFFINEMENT KITSCH ET GIGANTOMACHIE

[((/public/.D.Hirst_Demon_with_bowl_bronze_t.jpg|D.Hirst_Demon_with_bowl_bronze.jpg|L|D.Hirst_Demon_with_bowl_bronze.jpg, juin 2017))|/public/D.Hirst_Demon_with_bowl_bronze.jpg||D.Hirst_Demon_with_bowl_bronze.jpg]Disons-le tout net, l’exposition monumentale au Palazzo Grassi et à la Punta della Dogana que nous offre (façon de parler) François Pinault, des derniers travaux de l’artiste Damien Hirst, estomaquent le visiteur.

Au Palazzo Grassi, un colosse en bronze de 18 m de haut dont on se demande comment on l’a fait entrer (sans doute en morceaux) occupe tout l’Atrium, suivent dans les différentes salles, plus d’une centaine d’œuvres en bronze, en métaux précieux et sont d’une richesse de matériaux à faire tourner la tête, le tout sculpté à la perfection selon les techniques dont disposent désormais les artistes contemporains. L’exposition s’intitule : « Trésors de l’épave de l’Incroyable », un bateau qui aurait coulé il y a deux mille ans au large des côtes africaines et qui transportait la collection d’antiques d’un esclave affranchi devenu collectionneur compulsif de vraies et de fausses œuvres dont l’exposition restitue ou reconstitue la cargaison. Ce collectionneur romain s’appelait : Cif Amotan II. Il ne faut pas aller bien loin pour percer l’anagramme : « I am a fiction ». Voilà pour le clin d’œil que d’aucuns mettent un peu de temps à admettre tant la fiction est magistralement administrée : photos de fouilles sous-marines, tessons divers collectés, film de la remontée des œuvres comme au large d’Alexandrie on exhumait il y a peu des statues d’Apollon. Cependant on commence à être troublés lorsqu’on constate qu’il y a là tout un bric-à-brac archéologique dont l’invraisemblance est manifeste. On y trouve en effet, un calendrier Aztèque en pierre comparable à celui du musée anthropologique de Mexico voisinant avec un Bouddha de jade, le bouclier d’Achille voisinant avec une tête d’Ifé, ou encore un Mickey recouvert de coquillages à côté d’une coquille de bénitier géant en bronze plus vraie que nature. On se dit qu’on est joué et que l’artiste s’amuse, mais la lecture attentive des cartels et du programme plonge encore dans la perplexité : des explications savantes fournies avec détails par des supposés spécialistes intriguent davantage encore tant la pertinence de leurs observations est éloquente. Bien vite pourtant on devine les allusions à l’univers imaginaire contemporain, celui des « Dents de la mer », « d’Élephant Man » ou de la « mouche » de Cronenberg. Cela relève du cinéma, du décor de cinéma à l’évidence. Cependant, là où le cinéma utilise des leurres er des objets en carton pate, D.Hirst utilise, lui, des matières nobles et rares : pierres fines ou précieuses, marbres rares, prophyre, malachite ou encore Lapiz-lazzuli pour des œuvres colossales. On hésite à considérer que cela puisse être par jeu tant les sommes d’argent que cela représente doivent être elles aussi colossales. Là qu’est le piège. Comme un petit joueur hésite à croire un bluffeur au poker on a tendance à reposer les cartes. C’est là que D.Hirst rafle la mise. Mais, même fois désillusionné, le visiteur se pose encore d’autres questions, d’abord celle du business qui est fondamentale. Voilà un ensemble d’œuvres qui aurait coûté près de 60 millions d’€ pour lesquelles l’artiste a travaillé pendant 8 ans et qui compte bien multiplier par 10 cette mise d’autant que les œuvres en question qui vont de quelques centimètres à 18 mètres de haut et peuvent peser des tonnes sont éditées ou éditables à 5 exemplaires, le calcul est vite fait. Du reste Damien Hirst n’est pas un amateur en l’espèce, il l’a déjà montré en doublant ses marchands par une vente directe et mondiale il y a dix ans pour une vente qui lui avait rapporté 140 millions d’euros. Voilà pour la réalité économique de ce grand show kitsch auprès duquel les violons écrasés en laiton ou les coulures de tubes de couleur d’Arman paraissent soudain des jouets pour enfants de riche. Les collectionneurs qui se mettront sur les rangs ici devront compter par millions. (un canadien dit-on a déjà acheté une pièce 2 millions de $). On pourrait alors hausser les épaules se dire que l’art contemporain est une vaste fumisterie pour riches collectionneurs et spéculateurs à la recherche de sensations fortes, mais il y a autre chose qui a à voir avec l’art qui se joue là aussi. Qu’est ce que cet artiste met ainsi en jeu par un geste aussi démesuré ? Ne serait-ce pas le fait que notre patrimoine archéologique commun, est devenu universel, que dans notre imaginaire voisinent aussi bien les pharaons d’Égypte, les lointains Aztèques, l’empire des Han, le royaume d’Ifé en même temps que l’univers de Walt Disney, de Georges Luca ou de Stanley Kubrick. André Malraux au siècle dernier avait bien inventé « Le musée imaginaire » de la sculpture mondiale où voisinaient côte à côte des univers culturels qui faisait froncer le sourcil des spécialistes par les rapprochements effectués en image. Puis, peu à peu, nos musées se sont remplis d’objets des cultures du monde et si par aventure une catastrophe survenait, que trouveraient les survivants ou ceux qui viendraient d’une autre planète ? Ils découvriraient sans doute un bric-à-brac d’œuvres de toutes sortes sans hiérarchie aucune, témoignant néanmoins de notre humanité. On voit par là que D.Hirst nous révèle ce qu’est la post-modernité ; un monde de l’échange généralisé, du Kitsch, du rare, de l’insignifiant et de l’essentiel ramené à sa seule valeur d’échange, son prix lié à sa rareté. Il en dit peut-être ainsi davantage sur notre monde que bien des créateurs. Son archéologie transculturelle est celle de la fin de l’art déjà annoncée depuis longtemps et de sa transformation en signe de richesse ou de distinction. Cette mise en abyme de la notion de musée et de collection interroge aussi dans un monde où il s’ouvre un musée par jour et la figure du collectionneur qu’il dessine peu à peu s’avère être la sienne tenant par la main un Mickey recouvert de coquillage et de coraux. L’Humour British fait ici des ravages. Comment peut-on être si superficiel avec tant de profondeur se demanderont les spécialistes ? Celui qui nous invite à plonger à la recherche des épaves de l’art dans l’océan de notre mémoire apporte une réponse qui mérite qu’on la considère. Mais une chose est sûre, cette exposition énorme relativise complètement la Biennale elle-même. Quel artiste a dans cette dernière la puissance de création du britannique et pourrait rivaliser avec lui?

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