LE LOUVRE ABU-DHABI PREMIER MUSÉE POST-MODERNE

[((/public/louvre_des_sables.jpeg|louvre_des_sables.jpeg|L|louvre_des_sables.jpeg, nov. 2017))|/public/louvre_des_sables.jpeg||louvre_des_sables.jpeg]Voilà un événement qui dépasse sans doute par sa portée symbolique son aura culturelle même si cette dernière n’est pas à négliger. Pour la première fois, en effet, dans un monde musulman qui s’avère dans ses extrêmes si iconoclaste, voilà qu’un pays arabe (et non des moindres en raison de sa puissance économique) réalise un projet qui ailleurs en pays musulman pourrait passer pour une provocation. On a vu combien la destruction des musées et de ce qu’ils représentent de la préservation d’une mémoire non exclusivement islamique a été l’objet de ravages fanatiques qui ont indigné le monde. On se souviendra aussi qu’en son temps le Shah d’Iran ou plus exactement son épouse avait ouvert à Téhéran un des grands musées d’art moderne du monde arabe et que c’est la première institution qui fut fermée (mais non détruite) par les Ayathollas. C’est dire quel tabou est brisé à Abu Dhabi.

C’est que ce musée n’est pas non plus considéré comme une fin en soi, mais comme un atout dans une compétition mondiale de l’après-pétrole où la diversification des ressources s’impose à l’évidence. Ce raisonnement affecte en vérité tous ces pays, émirats pétroliers en tête, qui voient leur population augmenter et leurs ressources plafonner. C’est pourquoi depuis longtemps déjà, ils ont développé une stratégie qui consiste à devenir l’escale touristique des longs courriers qui vont de l’Europe vers l’Asie ou Afrique. C’est pourquoi aussi on les voit investir dans le sport (Quatar) et nouer de nouveaux rapports avec les puissances occidentales sur tous les terrains technologiques et militaires possibles. Cette fois, il s’agit de culture. C’est le temps des grandes marques culturelles d’être convoitées : Le Louvre, le musée Guggenheim, d’autres encore qui sont des « marqueurs » absolus de culture édifient leurs « succursales » en ces lieux de l’Arabie. Car il s’agit bien de « marques » comme Vuitton, Prada ou Hermès dans le luxe, lorsqu’on y entre on sait déjà que ce que l’on va trouver est au top de la qualité attendue. Dans le détail l’affaire est profitable pour tous, au Louvre par exemple qui y puise des ressources nouvelles et un prestige étendu et à l’architecture française, l’une des meilleures du monde sans conteste, qui peut s’illustrer là une nouvelle fois après l’avoir fait dans des foires mondiales ou des expositions universelles. Ne dit-on pas qu’après cette dernière réussite, Jean Nouvel aurait reçu six nouvelles commandes ! Car sa réalisation est magnifique d’intelligence et de beauté plastique. Jean Nouvel décline ici sa conviction que l’architecture arabe est avant tout une maîtrise de la lumière, c‘était déjà la solution architecturale qu’il avait expérimentée au musée du monde arabe à Paris mais à une autre échelle. En effet, cette immense coupole de huit couches d’acier découpé et superposées les unes sur les autres filtre la lumière à la manière des étoiles qui percent le ciel nocturne. On se souviendra peut-être, et Jean Nouvel sûrement s’en souvient, que déjà Aristote imaginait le système du ciel comme celui de 55 sphères emboitées qui tournant sur elles-mêmes laissaient apparaître les étoiles dans les espaces laissés par leur mouvement. En un sens Jean Nouvel posant là l’excellence française aura fait un bâtiment aristotélicien lequel fera face bientôt à celui dû au talent de l’anglais Norman Foster pour le futur musée national et à l’incontournable Franck Gehry pour le futur Guggenheim. Mais au-delà du geste architectural c’est bien la conception intellectuelle de ce projet qui interroge. Conçu et mis en place à l’époque de Jacques Chirac, ce musée est une sorte de « musée imaginaire » tel que le rêvait Malraux : un musée des cultures du monde présentées à égalité de dignité et d’intérêt, projet déjà réalisé en partie au Quai Branly mais seulement pour les arts africains et océaniens. Ce qui est tenté ici est une synthèse plus large entre les arts d’occident et d’orient au fondement de nos cultures. C’est la raison pour laquelle les musées français : le Louvre, le Quai Branly, Orsay ou la BNF, une dizaine en tout, ont été associés à ce projet qui vise à déplacer et à prêter ici plus de 300 œuvres majeures sur une durée de dix à trente ans. Mais l’aspect symbolique l’emporte sur le reste. Six-cents chefs d’œuvre sont là pour témoigner du génie créateur de l’homme dans toutes les cultures du monde. Au-delà de ce projet culturel franco-arabe, ce qui se joue là est une nouvelle définition « mondiale » de la notion de musée, moins attaché à l’histoire nationale qu’ouvert à l’idée d’un art universel et à la conviction que celui-ci est bien comme disait Malraux : « notre indivisible héritage ». Et cela n’est pas vrai que du passé, c’est déjà la réalité du présent. Ne voit-on pas dans l’art actuel les Chinois côtoyer les Européens ou les Américains, les artistes du Tiers monde rejoindre ceux du Quart monde, ne voit-on pas l’universalisation de la création et du langage de l’art ? Néanmoins, l’art malgré tout peut rester assez dérangeant dans tel ou tel pays pas encore véritablement ouvert à la mondialisation. Ce que montrent aujourd’hui les Émirats arabes, bien familiers eux de ces échanges économiques liés à la mondialisation, c’est que l’art, outre le fait qu’il est un business comme un autre, est aussi une façon d’entrer dans la « post-histoire », celle d’un égal échange et partage des cultures du monde. Ce n’est pas la moindre leçon à tirer de cette aventure du « Louvre des sables » et ce n’est toujours pas une idée qui va de soi. C’est en ce sens que nous sommes en présence d’un des premiers musées « post-modernes » du monde.

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