Voilà une expression toute faite qui revient souvent dans la conversation : « c’est une affaire de génération » : les comportements sociaux, la compréhension des choses, le jugement des mœurs, tout le monde sait cela est affaire de génération..
De temps en temps, lorsque disparaît une personnalité, les média ne manquent pas d’évoquer la génération à laquelle elle appartenait, il y a eu ainsi : la génération Mitterrand, celle du Baby-boom avec Johnny Halliday comme icône et l’on pourrait décliner encore ces exemples sur tous les modes et les registres, que ce soit, le sport, la culture, la politique ou les media. Bref, nous serions donc toujours plus ou moins issus et dépendants d’une génération ce qui au sens strictement biologique signifie l’engendrement, la mort et la renaissance comme c’est le cas dans la reproduction sexuée du vivant. Il y a fort à parier donc que la notion de génération soit consubstantielle à la vie. Par conséquent, sa traduction sociale ou culturelle n’en est que l’extension logique. Mais là où la vie nous inscrit dans un cycle déterminé où nous sommes liés par nos gènes, la culture, elle, nous met dans la dépendance historique d’une époque, d’un lieu, d’une langue, d’une religion et de modèles sociaux qui caractérisent notre environnement. Cependant, à la différence de notre destin biologique, notre destin culturel est lui modifiable. Bien que moins libres que nous ne le penserions , nous le sommes tout de même en présentant par choix et par volonté des variantes originales du modèle dominant qui finissent par faire émerger des singularités. Car ce sont elles, en fin de compte qui marqueront leur temps. Ainsi lorsqu’on caractérise une génération par un type humain, une personnalité remarquable, un homme politique, un écrivain ou un artiste, c’est le plus souvent en ce qu’elle s’écarte de son milieu culturel d’origine davantage que dans ce qu’elle le continue. Mais, il n’y a pas que les hommes pour marquer leur génération, il y a aussi les mœurs ; nos grands parents ou arrières grands parents n’ont-ils pas connu la « génération des congés payés », celle du « temps libre », de la « contraception », comme dans le domaine politique, artistique et culturel, celle « du rock », en Amérique, la « Beat Génération » à l’époque de la guerre du Viet-nam, de la « génération 68 », des « Teen Aggers » etc. Mais il y a plus. Vient le moment où ce ne sont plus les hommes mais les artéfacts et les objets qui caractérisent les générations. À ce propos, on parlera de la « coupure numérique » pour opposer les adeptes du stylo-plume et de l’encre Waterman, ou du « minitel » à ceux d’Internet, du clavier d’ordinateur ou du smartphone connecté. On dira alors que celui ou celle qui ne sait se servir convenablement de ces outils est, à l’évidence, d’une « autre génération »,. Hier déjà, la génération connectée regardait la génération « branchée » comme préhistorique, aujourd’hui, cela risque de s’accélérer tant l’obsolescence de ces technique et de leurs modes d’appropriation et d’usage s’accélère. Nous en viendrons fatalement à l’heure de l’homme non générationnel ou transgénérationnel en ceci que son évolution ne se mesurera plus à l’aune d’une génération mais bien moins. Que l’on songe simplement à tout ce qui n’existait pas il y a dix ans et qui conditionne aujourd’hui nos modes de vie et notre conception des choses ! Nous risquons alors de voir apparaître l’homme « sui generis » inséré certes dans le flux de l’existence mais dans un temps raccourci ; toujours unique en son genre et en son espèce, mais désormais irréductible à sa génération. On ne dira plus « il est d’une autre génération », mais « il est d’un autre monde ». On appellera ça, le progrès de l’espèce humaine, à moins que ce ne soit son contraire.