L’ARGENT DE POCHE DE LA CULTURE

Voilà lancé ce que la Ministre de la culture appelle « le chantier culturel du Quinquennat », soit, la promesse d’Emmanuel Macron d’offrir à tout jeune de 18 ans un crédit de 500€ pour accéder à l’offre culturelle (théâtre, musique, musées etc…) via une application téléphonique qui semble encore un peu délicate à mettre en œuvre. On se doute cependant que nombre d’entre eux préféreront aller écouter un concert rock ou rap que d’aller dans une salle d’art et essai ou un théâtre d’avant-garde, et si on leur paye le billet, d’autant plus, mais si c’est « le chantier du Quinquennat, alors !…

Ce dispositif il faut dire, fait bien dans le tableau d’une politique orientée jeunesse comme cela se traduit déjà avec l’école et l’emploi. Mais est-ce la bonne méthode? Car il s’agit là, tout de même d’une « vieille idée » déjà testée par nombre de conseils régionaux qui en ont vite mesuré les limites, celles du consumérisme et des choix culturels rarement conformes aux attentes. C’est pourquoi la plupart d’entre eux en ont arrêté les frais. Il est fort peu probable que la réponse donnée au besoin culturel par la consommation, – ce que les Américains appellent « entertainment » c’est-à-dire, loisirs- soit à la hauteur des attentes. On se souviendra seulement de ce qu’en disait Annah Arendt : « la culture a survécu à des siècles d’oppression mais nous ne sommes pas certains qu’elle survive à la version divertissante d’elle-même ». C’est à méditer. Car au fond, qu’est-ce que la culture, ce mot qu’on accommode à toutes les sauces ? Ceux qui aiment les métaphores se reconnaîtront dans la définition qui dit que « la culture consiste à donner un feuillage à ses racines », ou pour le dire mieux, « un avenir à ses origines ». Ainsi en a-t-il été longtemps en occident lorsque nous apprenions la culture Gréco-latine, les humanités et la Renaissance des arts, comme on apprenait la langue et sa grammaire. Or, les choses se compliquent dès lors que dans une société qui devient de jour en jour davantage multiculturelle nous constatons que nous n’avons pas tous les mêmes origines, ni la même idée de ce qu’il faut nommer origine. Par exemple nous ne faisons pas tous débuter la France à Clovis ou à Vercingétorix, le débat actuel sur l’Histoire de France en atteste. Dans bien des cas, ce point lui-même fait problème. En effet, si nous n’avons pas les mêmes origines nous pouvons estimer qu’il est de notre droit d’exiger d’en poursuivre l’histoire même en vivant loin de nos racines ethniques. On l’a vu souvent ces dernières années sans qu’il soit besoin de beaucoup détailler. C’est là que se pose le problème de la dimension antagoniste des cultures ; vision concrète qui n’est pas conforme aux discours qui font litière des différences pour une vision irénique de la réalité vécue. La vérité est que chaque culture veut être elle-même la référence de l’universel, c’est ce qui explique les guerres civiles et de religion notamment. Dans ce contexte, que doit être la culture ? N’est-ce pas ce qui devrait donner un avenir commun aux individus et communautés issus de différentes origines puisque tel est le cas ? C’était là le projet des Lumières et du Contrat social. On ne peut pas dire que ce soit ce qu’on observe ni ce qui s’annonce. Pourtant, n’est-ce pas là l’enjeu d’un projet pour la jeunesse, loin, bien loin d’un souci de faciliter ses loisirs, fussent-ils baptisés « culturels » ? Qui ne voit qu’il manque ici un projet de civilisation que bien des manifestations populaires semblent attendre avec impatience. Rappelons-nous qu’en Mai 68, le journal : » Le Monde » titrait : « la France s’ennuie ». On a vu la suite. Même si l’on sait que l’ histoire se reproduit le plus souvent en farce, on peut à bon droit se demander si un peu d’argent de poche donné par le Prince en bon père de famille est de nature à répondre à un besoin de sens qui est d’une autre nature ? Nous allons fêter l’an prochain les 60 ans du Ministère de la culture, n’est-ce pas l’occasion de nous demander à quoi cette « invention d’une politique culturelle » dans notre pays a répondu ? Aujourd’hui ce ministère, à la recherche d’idées, est devenu une administration d’allocation de ressources publiques bien en peine d’articuler une vision de l’avenir. Souvenons-nous que le monde change plus vite que les idées qu’on s’en forme et que la consommation culturelle ne répond que rarement au besoin d’absolu.

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