Ceux qui n’ont jamais entendu parler de l’artiste Anglais « Bansky », un artiste de rue, (on dit aujourd’hui de « Street Art » c’est plus branché !) celui qui couvre les murs de pochoirs éphémères ou pas, doivent savoir que c’est un authentique artiste. On ne mesure sans doute pas encore l’énormité de l’incident qu’il a provoqué en faisant en sorte qu’un de ses tableaux « Girl with Balloon » (jeune fille au ballon) ,vendu aux enchères à Londres dans la prestigieuse maison « Sotheby’s » pour plus d’un million de livres, (1,2 m d’’€ ) s’autodétruise sous les yeux d’un public d’acheteurs médusés.
Il faut d’abord savoir qu’un dessin qui représente une fillette tenant ou laissant s’échapper de sa main un ballon rouge est une œuvre iconique de ce peintre, pour comprendre qu’elle puisse atteindre une telle valeur. C’est que Bansky est aussi connu dans le monde de l’art anglo-saxon (et au-delà) qu’Andy Warhol l’était en Amérique et un peu pour les mêmes raisons : l’art sorti de l’atelier, le signe pictural posé sur les murs avec humour, finesse, poésie et dont le sens est quasiment toujours la contestation déclinée sur le mode poétique et humoristique, tout autant que politique, de l’ordre établi. On se souviendra de ses policemen anglais qui s’embrassent sur la bouche, de ce billet de 10 livres où le visage de Diana a remplacé celui de la reine, de cet autre où il a dessiné « Bansky of England » au lieu de « Bank of England » et ainsi de suite. C’est un artiste qui parle de son temps avec les moyens de son temps, dans la rue de préférence au musée. On peut, du reste, voir nombre de ses œuvres sur les murs de Londres comme sur ceux de Paris. Ce qu’on sait de lui, c’est qu’il est né à Bristol, on le sait par les réseaux sociaux dans lesquels il est omniprésent. Du reste la mise en réseau de ce « happening » autour du tableau a été vue par plus de 10 millions de visiteurs et ce n’est pas fini. Mais qui est-il au juste ? On ne le sait pas bien tant il joue à cache cache avec sa notoriété. Issu de la scène Undergrownd anglaise, on sait qu’il est ou a été musicien rock et s’il fallait le comparer à un autre artiste facétieux et célèbre ce serait sans doute à Marcel Duchamp qui s’était fait connaître en ajoutant des moustaches à la Joconde baptisée pour l’occasion L.H.O.O.Q. Une pitrerie qui rapporta gros. Désacralisation ou lacération, c’est un peu du pareil au même. En fin de compte, il se passe ce qui devait se passer ; dans notre monde, l’art a vocation à devenir marchandise, même si l’artiste n’y consent pas, (ou feint de n’y pas consentir) en même temps qu’il en joue les codes afin d’en subvertir l’usage. Et voilà comment en pleine salle des ventes le public a vu un tableau être déchiré en public par la volonté de l’artiste qui avait dissimulé une déchiqueteuse dans le cadre qu’il a (lui ou quelqu’un d’autre) actionnée en quittant la salle de ventes laissant les gens stupéfaits. On s’interrogera longtemps sur le fait de savoir quels complices avait cette mise en scène réussie à l’intérieur comme à l’extérieur de cette maison de ventes. Comment allait-elle réagir ? « Adjugé, Vendu » la vente était faite. Cependant, l’acheteur n’est pas aussi perdant qu’on pourrait le penser. Voila un geste qui vaut autant que l’œuvre; un geste iconoclaste qui valorise par sa dénonciation ce qu’il détruit en partie. Y a-t-il une meilleure publicité ? Immédiatement on apprend que cette « œuvre », dès lors, pourrait valoir le double de son prix, car elle est en passe de devenir aussi célèbre que « l’urinoir » de Duchamp baptisé « fountain »pour ne citer que lui. On remarquera au passage que l’œuvre ne s’est que lacérée et pas détruite, elle est donc conservée sous une autre forme, ce qui laisse perplexe malgré tout sur les buts poursuivis. En fin de compte, détournements, scandales, happenings, jeu pervers de retournement des situations où la dénonciation se renverse en son contraire, c’est le jeu de l’art d’aujourd’hui qui ne peut échapper à la logique du marché, quoi qu’en pense l’artiste, car le gagnant est bien évidemment le marché, toujours le marché qui fait de l’art une valeur d’échange avant toute chose. Quant à l’artiste Bansky, après avoir assumé son acte, il l’a simplement commenté avec cette citation de Picasso : « quel plaisir de détruire pour recommencer ». En effet, tel est le destin de l’art et tel est le prix de nos divertissements contemporains. N’est-ce pas le nom que notre époque a donné à la culture : divertissement, (les Américains disent : « entertainment », nous y sommes).