CRITIQUE La couverture d’un livre, et sa « quatrième », que l’on omet trop souvent d’examiner, sont ici très éclairantes. L’une et l’autre posent le nom de l’auteur : Marc Bélit, acteur culturel majeur du pays de Navarre ou d’Aquitaine, comme l’on voudra, et sans doute connu au-delà. Créer dans ce fond de royaume une Scène nationale : Le Parvis, où se déroulèrent des spectacles magnifiques, puis diriger cette même Scène pendant plus de trente ans, fut un projet et aussitôt un acte, une réalité titanesque, dont Le spectacle au cœur, déroule les étapes étonnantes.
Au cœur, Marc Bélit a eu aussi, et l’un ne va pas sans l’autre, la culture dans ses manifestations nationales pour le moins, mais pas seulement. La culture, considérée non par le philosophe qu’il fut aussi, mais par l’homme du commun (pas si commun) qui médite à partir de ses observations de ce qui se fait ou se dit, se pratique ou se déploie dans ce domaine, ici et là, en France essentiellement. C’est le second élément des ensembles graphiques posés sur la couverture : « Sur le moment » est le titre fédérateur de l’ouvrage justement sous-titré : « Chroniques », définissant un genre littéraire et une tranche de temps : « 2007-2017 ». L’une de ces méditations concernera par exemple « La photo présidentielle », signe officiel pourvoyeur de messages orientés. Genre littéraire, la chronique est parfaitement définie dans l’introduction par un auteur nourri de littérature et de ce qui allait avec autrefois : philosophie, histoire, sciences humaines en somme. Marc Bélit se fait ici chroniqueur de faits culturels ordinaires : un événement, un détail, un pavé disjoint,… relatif à la société, l’humeur du temps, l’art, le sport pourquoi pas ; tel espace : le Musée (mais qu’est-ce que le Musée du ballon rond, de la basket ou des robots ménagers peut encore avoir comme lien avec le Muséion qui fut la Demeure des Muses ?) ou tel phénomène et le mot grec n’est pas de trop : le Festival de Cannes ou la Rentrée ; telle spécificité historique : les villages de France dont on a grande nostalgie ; telle coutume : la distribution des prix et ses avatars contemporains : l’on ira des Nobel aux Goncourt et à la Palme d’Or. La Chronique est bien un genre littéraire, lointainement ancrée dans une tradition à laquelle Froissart donna sa noblesse. Mais pas un genre « noble », comme le sont (ou le furent) l’épopée ou la tragédie. Elle est donc brève par nature, ce qui confère à cette succession de deux cents chroniques une relative légèreté. Chacune logée sous son titre, et tenant la moyenne de trois pages. Une moyenne (entre deux et quatre, jamais plus) que l’élégance de nos Classiques appelait la mesure. L’auteur offre ainsi au lecteur un temps de repos toutes les trois pages, temps qui lui laisse par là-même la liberté de lire les chroniques dans leur succession ou d’aller de l’une à l’autre au gré de son humeur ou de sa curiosité. Littéraire à sa dimension, la chronique s’offre toute la gamme des tonalités : l’humour ou la mélancolie, la gravité ou l’ironie, sans jamais se départir de sa sincérité. Qui a un peu lu y entend parfois des accents de Diderot ou de Chamfort. Sans offenser personne, l’auteur sait courtoisement déplorer voire dénoncer un état de choses et s’aventurer à donner son franc avis, en refusant la langue de bois. Les formules sont nettes : « Oui, sans aucun doute », « Émettons le vœu que… ». Une élégance qui sait n’insulter jamais personne, au mieux (je ne dis pas au pire) signifier sa désolation devant les prétentions d’un philosophe politique (pourvu de neuf, pas moins, qualités ou compétences selon un rédacteur de wikipedia) qui ne craint pas de faire son film ! Et comme il lui faut tenir son peu de pages entre son titre et sa clôture, la chronique s’achève, c’est un procédé qui se doit d’être discret en tant que tel, sur sa pointe, concetto ou chute, la dernière du livre ironiquement formulée en sabir. Le lecteur ne boude pas son plaisir. Bernadette Engel-Roux, décembre 2018.