Le président de la République déclara à Ouagadougou en 2017 vouloir que « d’ici 5 ans les conditions soient réunies pour la restitution temporaire ou définitive du patrimoine africain en Afrique ». Un rapport commandité à deux personnalités française et sénégalaise vient de tomber ces jours-ci et il donne une forme à ce désir qui devra passer par une modification du code du patrimoine car ces biens muséaux sont en France encore inaliénables.((/public/.un_chef_d_oeuvre_de_musee_m.jpg|un_chef_d_oeuvre_de_musee.jpg|C|un_chef_d_oeuvre_de_musee.jpg, déc. 2018))
On observera au passage que les musées occidentaux sont remplis d’objets d’art liés à des guerres, des conquêtes, des exactions et des récupérations, des achats ou des dons qui proviennent de patrimoines culturels d’autres nations, d’autres États, d’autres cultures. On se rappellera ce mot de Malraux, disant que lorsque Lord Elgin récupérait les fresques du Parthénon, « l’occident regardait distraitement s’effondrer l’Acropole sous les coups de canons de la marine turque. » D’une certaine façon, il allait les préserver et les conserver. Fallait-il les rendre à la Grèce qui les réclame depuis longtemps ? Les britanniques s’y refusèrent jusqu’ici. Les choses sont-elles différentes pour l’Afrique ? Sans doute. Il y a eu en effet des guerres et des pillages liés à l’existence de royaumes comme celui du roi Behanzin au Dahomey. Là il s’agit d’un ensemble identifié dont la spoliation ne fait aucun doute, mais il y a eu aussi des missions ethnologiques qui ont eu d’autres buts et d’autres effets. Qu’on se rappelle la mission « Griaule » en pays Dogon. Non seulement elle préserva et sauva quantité de masques et de statues par ailleurs menacées par l’Islam conquérant et cachées dans l’immense falaise de Bandiagara, mais elle aboutit à faire connaître la culture, la langue et l’histoire du pays Dogon sans laquelle nous serions bien incapables de retracer l’histoire, tant il est vrai qu’en un pays de culture orale, « chaque vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ». C’est sur ce fond d’intérêt pour l’art et les cultures africaines que nombre d’artistes (Derain, Picasso, Apollinaire) en France mirent « l’art nègre » à l’honneur, en désignant sous le nom d’art ce qui était objet de culte, de cérémonie, de fêtes ou de deuils, mais jamais de contemplation de formes comme en occident. C’est ainsi que des anthropologues l’étudièrent, que le Musée de l’Homme lui donna un lieu de préservation et d’études en protégeant et entretenant ce patrimoine que le musée du Quai Branly, construit bien plus tard, exposa dans l’objectif d’être ce lieu où « dialoguent les cultures du monde » voulu par le président Chirac, attestant ainsi de leur valeur et de leur reconnaissance. Partout dans le monde post colonial, en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, au Portugal, en Espagne un mouvement semblable s’est produit. Le musée du Quai Branly a pris la relève de l’ancien musée des colonies devenu musée de l’histoire de l’immigration. On comprend mal alors la présentation qui est faite de ce projet de restitution des « biens pillés » par la cupidité et la violence occidentales. Nous avons décidément beaucoup de mal à nous situer dans cette histoire en dehors des registres de la culpabilité et de la repentance qu’il faudrait expier et compenser alors même que la situation aujourd’hui est complètement différente. Là question n’est pas là, elle est dans le partage et l’universel accès aux œuvres d’art de ce musée imaginaire qui est aujourd’hui mondial et qui peut et doit passer sans doute par des échanges et de collaborations davantage que par des restitutions à caractère idéologique ou politique, aves les risques qui y sont liés. Car, nombre de ces cultures ont disparu en Afrique même, leur dimension tribale rend difficile hormis quelques cas isolés, l’attribution de leur génie propre à tel ou tel État (qui sont eux des créations coloniales souvent très loin des découpages culturels). La qualification comme valeur de ces artefacts par un marché mondial avide de placements artistiques a hystérisé leur appréciation. On voit des objets qui se vendent plusieurs millions dont on se demande la raison sauf à considérer qu’ils sont devenus, comme l’art contemporain des objets de spéculation pure. Faut-il pour autant s’opposer à toute restitution ou échange ? Point du tout, mais il faut que les conditions en soient réunies et qu’un projet cohérent le préside. Il ne s’agit pas tant de restituer que de partager. La France et d’autres pays peuvent très bien contribuer à la construction de musées en Afrique par des partenariats intelligents comme c’est le cas à Abu Dhabi avec le Louvre: échange de savoirs faire, de talents, de mise en sécurité des œuvres, de prêts d’œuvres occidentales en rapport et de présentation afin que tout visiteur ici ou là puisse avoir accès à ce que Malraux encore appelait « notre indivisible héritage ». C’est pourquoi l’idée de payer une sorte de dette post-coloniale, si elle est politiquement payante, est redoutable moralement, car il y a fort à parier que sans la conservation qui en a été faite en occident, entre les pillages, les guerres tribales et le travail des termites, on ne parlerait plus guère de ces œuvres aujourd’hui. Qu’on se rappelle simplement ces simples faits : au début du XXI° siècle, on a vu en Irak et en Syrie, des musées détruits par des fanatiques au motif qu’ils contenaient les représentations du commencement de la culture. Un peu de prudence ne saurait nuire lorsqu’on conduit un État de longue mémoire comme la France, l’un des pays les plus ouverts aux cultures du monde.