ORDALIE

« L’ordalie, ou « jugement de Dieu », est une forme de procès à caractère religieux qui consiste à soumettre un suspect à une épreuve, celle du feu le plus souvent, douloureuse voire potentiellement mortelle, dont l’issue, théoriquement déterminée par une divinité, permet de conclure à la culpabilité ou à l’innocence de l’accusé». Voilà ce qu’en dit le dictionnaire. Or les dieux de nos temps démocratiques sont descendus de leur Olympe et foulent le pavé des rues en gilets jaunes. Ils ont néanmoins un accusé en ligne de mire : leur Président.

Ce dernier est soumis à l’épreuve du feu. Dans la rue, on enflamme, on caillasse, on détruit, on veut qu’il parle mais ce n’est pas pour l’écouter, seulement pour dire qu’il est sourd et inaudible. Il faut donc qu’il subisse l’ordalie, l’épreuve du feu médiatique qui consiste à traverser un conflit social profond et en sortir indemne. Tel est le sens symbolique de l’épreuve. A-­‐t-­‐il réussi ? La suite le dira, mais il aura essayé. D’autres avant lui ont eu à en faire l’expérience, parfois avec succès, le plus souvent en se brûlant les doigts dès lors qu’ils auront mis « la main au feu ». L’expression vient de là, d’une époque lointaine où les peuples avaient besoin de désigner un coupable de tous leurs maux. Cela n’a guère changé et là dessus, la France est experte. En régime démocratique, c’est celui qui occupe la plus haute fonction qui est comptable de l’état des choses, même si sa responsabilité aux affaires est récente et si le mal qui affecte le corps social est lointain et induré. C’est à lui d’éteindre l’incendie. Car c’est bien d’incendie qu’il s’agit au propre comme au figuré. Tout se passe en effet comme dans une pinède en plein été, le moindre départ de feu causait l’embrasement. Pour peu que le vent souffle dans la mauvaise direction, ce sont des hectares et des hectares qui brûlent. On l’a encore vu récemment en Californie. Coupable donc, forcément coupable comme aurait dit un écrivain célèbre en d’autres circonstances ! N’importe le niveau de responsabilité qu’on lui accorde, le peuple a besoin d’un bouc émissaire et demande sa mort symbolique, ici son départ. Le peuple ? Ou ce qui en tient lieu, dans cette démocratie d’opinion qui est la nôtre où n’est peuple que ce qui se voit à la télévision. C’est pourquoi ce dernier est revêtu de gilets jaunes conçus pour rendre visible ceux qu’on ne remarquait pas jusque-­‐là, leur donner ce quart d’heure de célébrité dont Wharhol disait, qu’elle était le désir secret de chacun. Mais il est vrai qu’on ne peut gouverner contre le peuple en quelque sens qu’on l’entende. C’est même ce qu’on appelle faire de la politique. Un art qui, comme l’art militaire est avant tout, un art d’exécution: savoir faire mouvement, voilà qui devrait couler de source lorsqu’on est « en marche ». C’est pourquoi la politique trace rarement droit, elle cherche le bien commun par des chemins détournés puisque l’explication raisonnable indispose tout autant que le langage dans lequel elle s’exprime. Les plus mauvais esprits disent qu’on enfume, mais c’est faux le plus souvent, tant le bien public demande une maturation des esprits et une compréhension des choses que les circonstances ne permettent pas toujours de réunir. Mais quelle ivresse tout de même pour ces invisibles qui soudain, par la grâce d’un gilet, deviennent omniprésents, de ces oubliés de la croissance qui prennent la lumière et expliquent comment gouverner avec des formules définitives : « il faut prendre aux riches ». Solution vieille comme le monde, mais dangereuse dans un pays qui se trouve importer bien plus de pauvres que de riches ! Et quelle ivresse aussi de fouler les pavés brûlants des révoltes de la veille. Ceux de 68 s’en souviennent encore et même s’ils ont pris de l’âge ils sont encore à haranguer sur les barrages comme dans leur jeunesse. Continuité du monde et des rêves de barricades. On dit que cela est dans l’ADN des Français. Sans doute est-­‐ce exact. Peuple latin que les gens du nord regardent étonnés, parfois effrayés par tant de réactivité instinctive. Un peuple politique disait déjà Karl Marx qui pensait que la grande révolution du XX° siècle se produirait en France. Jamais il n’aurait pensé à la Russie. Fragilité des hypothèses sur l’avenir. Une chose est sûre cependant, lancée dans une telle ordalie, la France en sortira peut-­‐ être apaisée par les promesses et calmée par les concessions, mais elle en sortira affaiblie dans sa capacité à assurer le bien de tous et la cohésion nationale. Dans notre pays, on ne se rassemble plus que contre quelque chose, jamais pour. Tel est le paradoxe de cette épreuve, nécessaire, redoutée et inéluctable. À moins que de ce psychodrame collectif il n’en sorte un bien, une nouvelle espérance nationale. Mettons cela au chapitre de nos vœux de Noël.

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