Vous avez entendu le mot de culture vous? Non je vous assure, je n’ai rien entendu de semblable! On parle de tout sauf de culture, ou alors on en parle sans savoir qu’on en parle. Je ne vous suis pas.
C’est pourtant simple: on n’a pas dit, on a pas écrit, on n’a pas encore posé la question de la culture en tant que telle lors du fameux « grand débat », c’est un fait. Reste la question de savoir pourquoi ? Pourquoi une notion aussi essentielle à nos vies, à nos existences, à la qualité de nos relations et de nos échanges, à l’existence même des œuvres que nous laissons et transmettons de génération en génération, ne figure-t-elle pas dans le foisonnement des questions et des revendications qui agite le pays dans cette grande demande sociale tous azimuts? La seule réponse, c’est que nous l’aurions déjà. La culture nous serait tellement consubstantielle que nous n’aurions plus besoin de l’acquérir. Que voulez-vous dire ? Ceci, que si la culture n’apparait plus comme un besoin, c’est que nous en sommes pourvus, tandis que pour le reste, nous serions en attente de quelque chose que nous n’avons pas. Mais peut-être la culture ne devient-elle un besoin que lorsqu’on y a goûté, qu’on a apprécié son apport dans la qualité de vie de notre existence, de notre compréhension du monde et de nos goûts, ce n’est pas le cas de tout le monde. Ou alors, est-il devenu indécent de parler de culture au moment où l’on parle pouvoir d’achat et de justice sociale, qui sait ? J’ai une autre idée : peut-être sommes-nous passés à l’heure d’une autre culture, du vertical à l’horizontal en quelque sorte. De quelle culture voulez-vous parler ? De celle des réseaux sociaux, sans recul temporel, qui favorise le règne de l’immédiat, du viral, de l’émotionnel, du passionnel dont la rue est devenu le théâtre et les gilets jaunes les intermittents. Albert Camus disait déjà que le théâtre était descendu de la scène pour se produire sur les tréteaux sanglants des révolutions, ce n’est pas faux. Chaque samedi devant son petit écran, chacun est au spectacle. Comme au théâtre, on écoute les dialogues tourner en boucle le soir dans les commentaires des chaines d’information et parfois on s’endort tellement c’est ennuyeux, ça arrive aussi au théâtre ! N’est-ce pas cela aujourd’hui la culture ? La vie sans les arts pour la dire, seulement le vacarme des mots, des images et des sons. Le mot de culture désigne-t-il toujours la même chose ? Est-il toujours ce savoir à acquérir, cette sensibilité à forger, cet acquis irremplaçable, et faut-il faire un effort pour l’atteindre ? Rien n’est moins sûr, tant la culture se présente aujourd’hui comme un donné immédiat que la technologie nous offre sans effort, et sans qu’elle fasse l’objet d’aucune revendication spécifique. Patience, on n’a pas tout vu, ni tout entendu, il ne faut pas désespérer du peuple, ni des élites, cela viendra à un moment ou un autre sur le tapis. Il faut seulement espérer que ce ne soit pas par le petit bout de la lorgnette, des seuls avantages sociaux et de la préservation de l’emploi dans le secteur. Ce pays qui bouillonne est en attente d’un grand projet culturel collectif, mais on n’en voit encore ni l’esquisse, ni l’auteur. Serions-nous revenus en 1959 ? Tout juste. Tiens vous m’y faites penser cela va faire 60 ans exactement que la France s’est dotée d’un ministère de la culture et d’une politique culturelle pour le pays. Mais de cet anniversaire, qui se soucie encore ?