Voici bien longtemps qu’on n’enseigne plus à l’école élémentaire les vertus qui font l’humanité de l’homme. Les leçons de morale étant depuis longtemps frappées de la suspicion d’être données dans l’intérêt de la classe dominante selon la vulgate marxiste reprise par la sociologie des années 70.
On comprendra donc facilement que l’évocation de l’acte de générosité comme tel nous surprenne et nous dérange.
C’est bien l’impression qu’on a ressentie lors de cette rafale de dons spontanés qui s’est manifestée devant le désastre de la destruction partielle de Notre Dame. La stupeur et l’étonnement passés, on a commencé à réentendre la petite musique sournoise. Cadeau de riches ! Exonération fiscale ! Intérêt et même, hypocrisie suprême, le fait de s’attirer les bonnes grâces par un geste ostensible de don qui pour être vraiment désintéressé aurait dû rester être anonyme. Enfin, tout un ensemble d’arguments venus diminuer la sincérité du don. La morale chrétienne elle-même inclinant à ne désigner comme vertu que le don invisible n’est pas si éloignée que cela. Les Évangiles ne parlent-elles pas des « Pharisiens Hypocrites.
Mais pourquoi donc refuser aux gens cette qualité dont on fait vertu, la générosité spontanée. Il y a de la noblesse dans le don qui d’une façon ou d’une autre consiste à sacrifier son intérêt personnel à celui des autres, il y a, quoi qu’on en dise du désintéressement et de la grandeur à donner, et du reste, lorsqu’on voit les dons faits aux grandes opérations humanitaires (le téléthon par exemple) on se convainc tout seul de l’expression de solidarité qu’il manifeste avec autrui. Alors pourquoi cette réserve à l’endroit des donateurs du 15 Avril ?
Parce que ce sont d’abord des dons de riches et qu’à tout prendre ils sont pour beaucoup l’expression de l’inégalité dans une société aux fondements moraux égalitaires. C’est pourquoi certains, et non des moindres, exigent plutôt que « l’on prenne aux riches pour distribuer à tous ». La polémique sur l’ISF ne dit pas autre chose. Le christianisme qui enseigne qu’il faut donner aux pauvres a longtemps désigné cette vertu du nom de charité chrétienne. Mais de cela on ne veut plus non plus. On veut la justice et il semble à beaucoup que la justice passe par l’égalité et que la loi ou l’État doit l’exiger et l’obtenir fut-ce par la contrainte. On voit là comme un étrange mélange entre une certaine morale chrétienne et la morale laïque au fondement de notre culture : « ne pas permettre aux riches de donner quand bon leur semble » déclare M.Hamon.
Sans faire de grands dessins on voit bien à quel type de société cela renvoie et il semble que la leçon de l’histoire de ces sociétés n’ait guère été retenue par tous.
N’y aurait-il point de justice dans la générosité ? Et n’y a-t-il de bonne générosité que celle qui est sans cause ?
L’autre angle de critique est fiscal : les avantages fiscaux. L’un des premiers donateurs a balayé cet argument avec hauteur et nul ne sait à l’heure actuelle si les grands donateurs auront ou non recours aux déductions fiscales. Mais le procès d’intention est ce qu’il y de plus délétère dans nos mœurs actuelles : toujours rabattre l’intention à son plus bas niveau et ne jamais créditer autrui de sentiments élevés. Nous avons bel et bien oublié les leçons de morale ou alors on ne nous les a jamais enseignées.
Quant à l’argument fiscal, lorsqu’on se penche sur la destination des dons on se convainc assez vite que, plus de la moitié va aux actions sociales, humanitaires et culturelles, le reste va à l’éducation, la santé ou l’environnement. Croit-on sérieusement que l’État déjà impécunieux y satisferait sans ce complément de dons qui a fait l’objet d’une longue bataille sur le terrain du mécénat. Deux lois ont été nécessaires (1986 et 2003) pour en convaincre Bercy qui voudrait bien reprendre la main. Rien n’est acquis et nous en sommes toujours là, c’est un peu triste.
Une chose encore, lors de la reconstruction de la cathédrale de Reims après le désastre de la 1° guerre mondiale, ce sont les dons fait par les Américains Carnegie et Rockefeller qui en ont permis le financement, sans susciter la moindre critique. Mais il est vrai que c’étaient des dons étrangers !
Retenons cependant que ce grand signal de solidarité pour Notre Dame ne doit pas être rabattu sur des considérations politiques de court terme comme c’est trop souvent le cas. Le malheur en France, c’est que les Français ont trop de comptes à régler entre eux et c’est là ce que Julien Gracq appelle « une singularité instructive qu’aucun autre peuple d’Europe n’a connue…Les Français se sont lancés dans trois guerres en se haïssant entre eux beaucoup plus qu’ils ne haïssaient l’ennemi. » (Lettrines) N’est-ce pas là le nom qu’on peut donner à la lutte des classes et la politique ne peut-elle pas faire aucune place à la morale ? Cet exemple récent donne à y réfléchir.