LA VIE EN ROSE,

pau place Clemenceau (photo pyrenees-presse)

Qui n’a dans l’oreille cette chanson d’Édith Piaf sortie en 1945 après la libération et en pleine lune de miel avec Yves Montand : « quand il me prend dans ses bras,.. je vois la vie en rose ! » Bluette sentimentale, refrain ou rengaine, joué et repris par des générations de chanteurs et des musiciens de Jazz comme Louis Armstrong, c’est peut-être la chanson qui célèbre le mieux l’envie de vivre et l’amour à deux. Tout le monde sait cela, alors à quoi bon le répéter ?

C’est qu’en ce mois d’octobre, on voit un peu partout des manifestations qui tendent à nous faire voir la vie en rose, à associer ce mois à la couleur rose. On aura compris aisément que cette dernière est parée des qualités féminines. Alors un mois de l’amour ?

Eh bien non, pas vraiment, mais un mois lié à la peur de la mort, de la mort par cancer et spécialement du cancer du sein qui touche 42 000 nouvelles femmes par an. Un mois lié à la prévention, qui engage au dépistage, à la sensibilisation à ce mal du siècle qui a pris le relais des grandes calamités du passé et qui montre que malgré les progrès de la médecine et de l’hygiène, l’éradication totale des maladies n’est pas pour demain. C’est que la vie et la maladie ont partie liée et que c’est même cela qu’on appelle le destin des humains. Le tout est de savoir y faire face.

Conformément aux modes de sensibilisation ou de publicité venus d’outre-Atlantique, et pour le cancer dès 1985, les associations françaises verront, elles, le jour, dix ans plus tard au travers de ligues et d’associations diverses avec en première ligne les soignants, médecins et infirmières mais aussi auxiliaires et bénévoles tous sensibilisés par cette terrible maladie. C’est là, la forme que prennent nos rituels sociaux aujourd’hui : une prise en charge collective et solidaire d’un mal qui peut toucher tout le monde puisqu’il y a autant de cancers du sein qui apparaissent que de « prostates » comme on dit par euphémisme pour les hommes. Première cause de mortalité pour ces derniers et deuxième pour les femmes.

Hier, ou avant-hier on traitait la maladie par l’exorcisme, les rituels, la religion, par toutes les pratiques collectives que l’homme a pu imaginer pour ne pas affronter seul l’inéluctable.

Et c’est là la raison pour laquelle cet octobre qui fait fleurir des parapluies roses un peu partout dans les rues des villes apporte un peu de couleur dans le paysage. Sensibiliser, accompagner, réunir, faire en sorte que la qualité de vie relationnelle ne disparaisse pas avec les premiers signes d’une maladie qui fait peur et dont le premier réflexe est de se cacher pour les malades ou de s’éloigner de ceux-ci comme s’il s’agissait d’une maladie contagieuse. Ce n’est plus trop le cas aujourd’hui tant l’information s’est développée et qu’on sait à quoi s’en tenir. Mais pour autant, ceux qui en sont atteints doivent vivre avec la dégradation de l’image de soi que peut procurer la maladie (qui intervient à tout âge) avec les incidences dans la vie amoureuse, relationnelle, familiale, avec la fatigue et les modifications psychologiques que cela entraîne. De ce point de vue-là, les parapluies ne protègent guère, ils ne sont qu’un signe, celui qui fait qu’on peut être invité à sortir même par temps de pluie ou de mauvais-temps et qu’au milieu des autres il fera soleil.

Notre société, nos temps actuels doivent ainsi affronter le mal souvent, le malheur parfois, redécouvrir que dans un monde assaini, protégé, soigné, le destin peut faire que chacun peut toujours être exposé au pire. Comment réagir alors ?

Les anciens stoïciens disaient : « supporte et abstiens-toi » à défaut de pouvoir faire autre chose. Les modernes ont cru que la science arriverait à tout guérir. C’était la foi positiviste mais on voit bien que dans cette progression des temps on est comme le voyageur devant les rails de chemin de fer : avec l’effet de perspective on pense qu’ils vont finir par se rejoindre mais on sait bien que le train de la vie ne peut rouler que sur des routes parallèles. C’est là le paradoxe, maladie et santé sont indissociables, nous sommes dans un rapport de proximité et d’éloignement qui montre simplement ce qu’il en est de la vie : « un beau risque à courir » avait dit un philosophe pour l’immortalité de l’âme. Ceux qui courent aujourd’hui revêtus de rose en d’improbables marathons ne disent pas autre chose, à leur façon. Chacun de nous va vers sa fin, à son rythme, à celui de sa foulée, mais au milieu de la solidarité des autres, c’est quand même beaucoup mieux et infiniment plus gai si c’est pour voir encore « la vie en rose ».

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