Comme 24 millions de Français, j’ai regardé la course à l’étoile lors de cette finale de la coupe du monde de football. Pas différent j’imagine de tous ceux qui sont à la fois sélectionneurs et joueurs dans leur tête, commentateurs pendant et des semaines après. Mais en ayant un jour ou l’autre foulé une pelouse plus ou moins engazonnée, crampons aux pieds et ecchymoses aux genoux, en sachant juste ce qu’il faut pour apprécier ce sport qui est devenu la forme mondialisée de l’affrontement des nations puisque chaque joueur de n’importe quelle équipe rejoint à cette occasion son équipe nationale et en défend le drapeau. C’est là un élément non négligeable qui ajoute la dimension politique à la dimension sportive. C’est à cette occasion que la passion populaire nationaliste peut s’exprimer créant parfois de sacrés malentendus, comme lorsque des supporters d’une équipe étrangère tous drapeaux déployés viennent fêter leur succès sur les Champs-Élysées par exemple, obligeant responsables et commentateurs publics à expliquer le pourquoi du comment et la raison suffisante de cette « appropriation symbolique » au fond assez choquante pour le simple bon sens.
Mais revenons à cette coupe du monde et à ce match de finale qui a vu une équipe de France prise à la gorge, bientôt submergée, surclassée et naufragée par une équipe d’Argentine motivée, solidaire, conquérante, avant que se produise un sursaut et que surgisse ce jeune surdoué, ce géant des stades déjà : le joueur M’Bappé qui desserre l’étau, redonne du cœur à son équipe, laquelle obtint l’égalité au terme d’un match à rebondissements et à suspense comme on l’espère et le voit parfois. Là, tout amateur de sport et même simplement de spectacle ne peut qu’être ravi, d’autant que le sort final de la rencontre relève du coup de dés ou de la volonté du ciel tout autant que de l’adresse des joueurs. Les dieux du stade ont tranché, ils ont penché en faveur des « bleu ciel» contre les « bleu outremer » ; quoi de plus logique quand le vainqueur s’appelle « l’albiceleste » !. En outre, n’y avait-il pas sur la pelouse une équipe plus ardente qu’une autre et derrière ces joueurs, un peuple davantage en attente d’un signe du ciel, qu’un autre ? Chacun décidera, mais au-delà du talent de tous ces joueurs, c’est ce genre de dénouement qui tient autant à la chance qu’à l’adresse qui fait sens et passionne le public.
Qu’en retenir ? Que les peuples ont besoin de spectacle et du sentiment que leur donne un temps ce jeu, celui de voir les rapports de force s’inverser, les puissants affaiblis, les négligés dominants, en dépit de la force réelle des nations et de leurs rapports géopolitiques. Cela sur la pelouse, et quant aux organisateurs, ici la FIFA comme le Qatar, voilà l’occasion de marquer des points contre les évidences ; pour la première faire peu à peu du football un sport mondialisé, pour le petit Émirat déjà bien présent sur la planète foot, créer un épicentre, un « hub » sportif en plein désert avec les conséquences que l’on sait. Contradiction de plus d’un monde qui en est déjà plein. Car chacun peut songer évidemment à ce qui change tout : la capacité à retransmettre au temps réel au monde entier ce qui se passe à tel ou tel point du globe. La mondialisation c’est d’abord cela, la visibilité, la simultanéité qui font que nous sommes tous des téléspectateurs contemporains des mêmes évènements.
Quant à la forme que cela prend, on sera sensible au fait que toutes nos difficultés à être ensemble semblent soudain levées (enfin pas tout à fait, il y a un absent de taille cette fois, la Russie ne l’oublions pas) ! Mais restons-en au cas Français et à notre difficulté de faire peuple, traversés que nous sommes par nos contradictions nationales. Lorsqu’un petit gars de Bondy surdoué nous redonne de l’espoir, comme un petit gars de Marseille hier, lorsque M’Bappé ou Zidane donc, portent l’honneur d’une équipe au superlatif, le frisson national qui parcourt le pays est plus fort que toutes les hésitations. Il y a donc, il y aurait donc une issue sportive à notre pays si fragmenté ?
Osons une comparaison légitime du reste avec le théâtre, ce qu’il était en Grèce avant J-C, un moment de spectacle où un peuple assistait à ses malheurs, contemplait ses faiblesses, chantait ses victoires et ressortait « purifié » de ses passions mauvaises. Le théâtre (hélas) a cessé de jouer ce rôle, mais le besoin d’exutoire collectif reste présent. Camus disant que le théâtre était passé de la scène au tréteau sanglant des révolutions avait bien vu la chose. Un exutoire toujours. Mais cet amateur de foot (il fut gardien de but je crois ?) aurait pu aussi souligner que ce sport où il est question de soi et de tous, dans une équipe qui est un précipité de la société actuelle comme on le dit en chimie, est en fait l’alchimie symbolique au travers de laquelle un peuple s’éprouve tel qu’il est certes, mais en gagnant obtient la reconnaissance des autres. La victoire scelle évidemment la chose dans un pacte glorieux, mais le sport y ajoute cette gratuité d’un acte qui au-delà du symbole reste un jeu. La passion retombée, il restera à méditer sur les décrets du ciel et le destin des étoiles… filantes.