ON NOUS A VOLÉ LES BIJOUX DE FAMILLE 

Un dimanche matin, entre le café et les tartines, la radio nous apprenait que les bijoux de la Couronne avaient disparu. Encore un pan de notre patrimoine parti en vacances sans prévenir me suis-je dit tout bas : « Tiens, une occasion manquée, on aurait pu gager nos dettes là-dessus ! » Mais d’autres, plus pressés, avaient trouvé le moyen d’y pourvoir sans passer par Bercy. Car ces bijoux, c’est un peu notre héritage familial. Pas qu’on les ait jamais portés — on peine déjà à attacher ses lacets — mais ils trônent au Louvre comme des cousins aristocrates dont on parle avec gêne, et dont on s’indigne d’apprendre qu’ils ont été volés par des inconnus en cagoule. 

Après tout, nous sommes les enfants d’une monarchie décapitée : la République est notre mère, mais le roi reste ce grand-père embarrassant dont on ne parle qu’à propos du grand tête-à-queue de notre histoire, la Révolution. Et voilà qu’un matin, hop ! plus de couronne, plus de diadème. Comme si, dans la maison France, on avait subtilisé l’argenterie et le portrait de tante Eugénie. Car ces bijoux, monsieur, ne sont pas que des tas de cailloux : ce sont nos reliques laïques, notre vaisselle de mariage républicain.

Qu’on ne s’y trompe pas : la France aussi a des trésors. Elle n’a rien à envier à la Crown britannique ni aux diamants de Topkapi. Depuis François Ier, nous collectionnons les pierres les plus célèbres : le Régent, le Sancy, le Grand Mazarin… Celui-là, cardinal de profession, aimait tant ses joyaux qu’à l’heure de mourir, il demanda d’abord non un prêtre, mais qu’on le transporte dans la galerie où étaient exposés ses Rubens, soupirant : « Et dire qu’il va falloir quitter tout ça… » Première confession d’un homme préférant ses Vénus charnelles à son âme immatérielle. 

Nos voleurs modernes sont moins poétiques. Ils ont même laissé tomber la couronne de l’impératrice Eugénie sur un trottoir : trop lourde, sans doute. On imagine le dialogue : — « Prends au moins le diadème ! » — « Ah non, ça rentre pas dans le sac à dos. » C’est à croire qu’ils braquaient un Monoprix. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’on nous dérobe nos colifichets : en 1792 déjà, une partie des joyaux fila jusqu’en Angleterre. Nos amis les plus proches — surtout quand ils ont une flotte — rendent rarement la vaisselle. Quant au diamant bleu de la Couronne, il finit retaillé aux États-Unis, où il se pavane sous le nom de Hope. L’Amérique sait décidément tout recycler, même nos regrets. Ce qui est beau mais triste dans cette affaire, c’est le sentiment d’avoir été volés collectivement. 

Personne ne dormait avec le diadème sous son oreiller ; et pourtant, nous voilà tous un peu nus, comme si on avait cambriolé notre fierté nationale. Être Français, c’est se sentir propriétaire de ce qu’on ne possède pas, et vexé qu’on nous l’emporte — comme le font les multinationales. L’imaginaire, lui, se défend. On rêve d’un Arsène Lupin laissant derrière lui une carte parfumée à la violette. Mais non : les voleurs d’aujourd’hui n’ont plus de monocle. Ils ont des baskets, une cagoule et un scooter. Ils ne volent pas par panache, mais par vandalisme ; moins romanesque, mais plus efficace. Et puis, il faut dire que l’époque aide peu : foires d’art, salons des antiquaires, vitrines de la place Vendôme… Mais à force d’exposer des diamants, on donne des idées. La République devrait le savoir : montrer des couronnes, c’est comme laisser un camembert à portée des souris.

 Depuis ce vol, le Louvre a fermé ses vitrines, mais la télévision les a grandes ouvertes pour nous faire rêver à ce qu’on ne verra peut-être plus. Tout fout le camp, madame la marquise ! Au fond, nous ne sommes pas tristes pour l’argent — ces pierres rapportaient surtout du prestige. C’est le vase de tante Eugénie : on l’ignorait jusqu’au jour où on le casse. Voilà le secret des bijoux de famille : on n’y pense jamais, jusqu’à ce qu’un voleur mieux organisé nous les fasse regretter. Ne jalousons donc pas trop les princes ni les milliardaires : leurs malheurs sont aussi gros que leurs rubis. Gardons seulement ce léger pincement d’orphelins du patrimoine. Car malgré nos impôts, nos querelles et nos trains en retard, nous avons eu des rois, des empires, des couronnes… et des antiquaires — les seuls, peut-être, à dormir tranquilles, mangeant parfois dans la vaisselle des rois avant de la vendre au plus offrant.

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