EN REVENANT D’L’EXPO ! 

Comme hier, ou avant-hier encore, tout provincial qui « monte » à la capitale — fût-ce plus souvent qu’autrefois — reste un badaud émerveillé par tant de grandeur et de merveilles. Paris a ce don d’en mettre plein la vue, surtout lorsqu’il s’agit de manifestations ou d’expositions. Dans ce domaine, le pompon revient sans conteste à la célébration du centenaire des Jeux olympiques, vitrine éblouissante d’un savoir-faire français qui ne faiblit pas. Mais l’énergie et l’émulation culturelle a depuis atteint des sommets au point qu’à l’énoncé des manifestations éphémères, des fondations pérennes qui animent la vie culturelle, il se murmure que Paris est devenue la capitale très enviée du monde de l’art.

La période récente ne fut pas en effet avare d’événements : l’automne parisien a vu refleurir ses grandes foires, désormais baptisées « Fairs » — l’anglais sonne plus chic que notre bon vieux « salon » qui sent son XIXᵉ. Salon de la peinture, des Indépendants, des Impressionnistes, de la mode, du livre : le terme tient encore, mais plus pour longtemps. « Moderne Art Fair » fait plus branché. Chaque semaine qui passe c’est une offre nouvelle. Hier les antiquités, puis les tableaux et sculptures, l’art contemporain, en ce moment, la photographie. Ce n’est pas le rocambolesque vol de bijoux au Louvre qui a refroidi les ardeurs ! Au contraire, cela ajoute du sel au séjour des touristes : « Nous étions à Paris quand on a volé les bijoux du Louvre ! » 

Ici, on parle plutôt des nouvelles fondations qui poussent comme des champignons de luxe : la fondation Vuitton installée au Bois de Boulogne, la fondation Pinault à la Bourse du Commerce, Lafayette initiatives, Pernod-Ricard, Reiffers initiatives, ici et là, et voici maintenant la Fondation Cartier rénovée par Jean Nouvel qui vient installer ses 6500m2 à deux pas du musée du Louvre. Paris resplendit de ses fondations privées tandis que le vénérable Centre Pompidou tire le rideau pour cinq ans de lifting, dans un feu d’artifice signé du Chinois Cai Guo-Qiang. On s’y presse une dernière fois, avant que le grand escalier et la façade illuminée ne s’éteignent pour un bon moment. Tout doucement « le privé » prend la place du « public » en déclin par manque d’argent et de dynamisme. Signe des temps.

Les étrangers sont là, la place parisienne est redevenue attractive et certains attendent le moment où devant l’avalanche de taxes, les français vendront le patrimoine comme cela s’est déjà passé, en se frottant les mains. Pourquoi donc vient-on à Paris ? On y vient pour faire du business… et pour vivre cool. Même la balade à vélo incognito parmi les embouteillages est devenue signe de distinction ! Les chiffres d’affaires des salles de ventes, – en baisse cette année à Londres et à New York restent stratosphériques, il serait presque indécent de les publier. Ici, plusieurs mondes se croisent : celui de l’art, de la mode, de la politique, des médias. L’entre-soi y atteint des sommets. Autrefois, on disait : « Quand le bâtiment va, tout va. » Aujourd’hui, c’est quand le marché de l’art flambe que tout s’illumine. L’art, le luxe, la mode, le numérique entre autres sont le côté attractif du pays.

Et pendant ce temps, à une encablure de là, sous les colonnades d’un temple qui se rêve antique, l’Assemblée nationale gronde et se déchire. La France peine à voter son budget, les agences de notation s’inquiètent, la rue s’enflamme pour un oui ou pour un non. À Paris, on compte plus d’une manifestation par jour en année pleine : il y a la France qui rit et la France qui pleure. La start-up nation côtoie le lumpenprolétariat, les malfrats rôdent sur le toit des musées et dans les couloirs d’hôtel, le métro n’est plus très sûr à certaines heures. 

Dans cette enceinte républicaine aussi, on bat des records en matière de taxes et d’impôts votés comme dans une nouvelle nuit du 4 août. Nos députés sont pris d’une frénésie fiscale qui, comme celle de l’art, est aussi folle qu’irréaliste. Partout à Paris, on parie sur l’avenir, on change le monde le temps d’une foire ou d’une session parlementaire. Mais l’excitation retombera on le sait, et l’on se rendra compte alors qu’on dansait sur un volcan et que la dette publique est toujours là. 

La France se débat, divisée, écartelée entre des idéologies contraires qui mettent à mal ses institutions. Le tempérament national, peu porté à la conciliation, bout du désir d’en découdre — un de ces spasmes périodiques qui jalonnent notre histoire lorsqu’il faut rejoindre le cours du monde en marche. Nul ne pense qu’après avoir décousu, il faudra recoudre. Le possible est devenu l’ennemi du souhaitable, et vice versa. L’aiguille du baromètre reste bloquée sur : « Variable, avec risques de tempêtes. » Notre pays a la fièvre.

Et malgré ça, sous la coupole de verre du Grand Palais, la fête continue. En ce moment c’est la photographie qui est la une. Et nous, on s’en revient d’l’expo, tout éblouis, tout chamboulés, ne sachant plus très bien si l’on comprend encore quelque chose à ce monde. Pas si différents, au fond, de nos ancêtres qui rentraient chez eux après avoir visité l’exposition universelle, béret vissé sur la tête, des étoiles plein les yeux — plus brillantes, croyaient-ils, que celle du berger au-dessus de leurs troupeaux. Qu’auraient-ils dit s’ils avaient vu comme aujourd’hui la valse des milliards agiter la tête de nos contemporains ? Que les étoiles du ciel ne peuvent se compter, mais que le ciel sera beau tant qu’il y en aura parce que rien n’est plus triste qu’un ciel sans étoiles.

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