((/public/the_Blind__Peter_Buggenhout_/.P1030078_m.jpg|blind||blind, mai 2012))Visite de l’exposition : « Intense Proximité » au Palais de Tokyo agrandi, dans le cadre de la nouvelle triennale d’art contemporain de Paris. Et s’il fallait une preuve ou une démonstration du pilotage erratique dont a fait preuve la politique artistique du Ministère de la culture, c’est là qu’on la trouverait.
Non point que cette exposition soit inintéressante, tout au contraire. Mais il faut en revenir à l’origine, et l’origine c’était, sous le gouvernement Villepin, le choix du Ministre de l’époque : R.Donnedieu de Vabres, de créer au grand Palais, une manifestation intitulée : « la force de l’art » pour, à l’imitation des Anglais et autres Allemands, « mettre en valeur les artistes et l’art Français ». Suivront une « biennale » assez terne et finalement cette Triennale qui en change totalement l’orientation. Fini l’art Français comme tel et la défense des artistes français. En confiant le commissariat de la Triennale à Okwui Enwezor, un américano nigérian auquel avait été confié le commissariat de la Documenta de Kassel en 2002, on savait à quoi s’attendre. Déjà à cette époque, il lui avait été reproché de négliger l’art français. Cette fois, on remarque bien un dixième d’artistes français mais davantage me semble-t-il comme illustration du thème proposé que comme référence artistique ou courant de l’art. Car ce remarquable commissaire a une approche, originale et assez passionnante, celle de refuser, voire de critiquer tout ethnocentrisme et d’ouvrir le regard sur l’art non-occidental comme sur les formes hybrides de l’art et les différentes manières d’en aborder les enjeux. On a donc refermé la porte sur l’intention première de ce type de manifestation, c’est là le premier point. Sur le second, ce qui frappe en franchissant les portes du nouvel espace du Palais de Tokyo « mis en espace d’art » par les architectes Lacaton et Vassal, c’est qu’on se retrouve sur un plateau connu, le premier étage et sa modernité déglinguée, puis qu’on descend dans des profondeurs, le long d’escaliers de métal ; profondeurs humides où l’on s’attendrait à trouver de l’eau croupie et des fragments de désastres anciens comme dans le Stalker de Tarkowski. C’est un peu ça tout de même, mais, ici, ce sont des installations artistiques : pièces, œuvres, tableaux, dessins, vidéos, films, que l’on trouve. Nous sommes bien dans un « Centre d’art » nouvelle manière, mi friche industrielle, mi galerie chic. Malgré tout, cela me fait penser à cette installation vue à la Biennale de Venise tout de suite après la chute du mur de Berlin où l’artiste russe Illa Kabakov, avait démoli les salles du pavillon de l’URSS et installé dans le jardin une petite cabane d’où sortait une dérisoire musique militaire. Le cadre faisait œuvre. Ici, c’est un peu pareil, le décor en lui-même, est assimilable à une œuvre d’art et est aussi fort que tout ce qu’on y présente. Et si l’on voulait en avoir un avant-goût, l’installation dans la grande rotonde de l’œuvre du belge Peter Buggenhout « The Blind leading the Blind » avec ses pans de textile souillés de poussière, de murs de plâtres écroulé avouant leurs structures, tout cela pendant du plafond comme dans un immeuble en cours de destruction, en donnerait une parfaite illustration. Désastre donc, désastre en cours, discours artistique pour temps de désastre, métaphore de notre occident ( ?) pourrait en être le prologue. Mais l’intention du commissaire ne se résume pourtant pas à cela. L’exposition se nomme : « Intense proximité » et ce qu’elle interroge c’est l’identité culturelle et singulière de l’individu encore territorialisé mais déjà multiculturalisé dans un monde en voie de mondialisation, c’est-à-dire en voie de désoccidentalisation. On pourrait évidemment discuter ce parti pris et cette analyse, mais ce n’est pas le lieu ici, il faut essayer de voir ce qu’on a voulu nous montrer. Ce qui frappe, tout de suite, c’est l’insistance mise sur l’anthropologie de l’époque post-coloniale, celle des Griaule, Levi-Strauss, Rouch et quelque autres. La question qui vient à partir de là est la suivante : pourquoi les artistes français sont-ils si en retard sur la critique du colonialisme et des formes ethnocentristes dénoncées par les grands anthropologues ? Pouquoi n’ont-ils pas produit des œuvres comme celles de Bartélémy Toguo ou de Georges Abedagbo, voire de Chris Ofili (ces post coloniaux du Commonwealth ou de l’Empire français) qui proposent une forme de réponse à cette question. On pense alors que Enwezor veut renouer avec la mythique exposition des « Magiciens de la terre » de Jean-Hubert Martin en 89, mais non, son propos est plus incisif, plus polémique dans son intention profonde, il ne veut pas seulement montrer mais probablement démontrer en montrant. Et quoi ? Sans doute que la notion même de l’universalisme telle que l’occident l’a forgée et finalement imposée avec le monde rationnel et technique de la mondialisation peut être, doit être, contredite par l’exposition de la diversité sans centre et sans frontières. Une idéologie pleinement multiculturaliste donc qui s’énonce dans toutes les directions et toutes les générations (le choix de la présentation des artistes est cette fois proposé selon leur âge pour accentuer un regard générationnel sur leurs œuvres, différence et continuité.) Le fin mot de l’histoire est donné dans le petit « flyer » donné à l’entrée de l’exposition. Le dernier terme qu’on y décline, est celui de « Désapprendre », inviter à repenser notre propre système de jugement afin « d’être capable de voir et de recevoir l’autre », « pour briser des représentations établies, pour forger une nouvelle appréhension du monde qui s’éloigne des modes de pensée héritées de notre histoire proche, de la modernité. » Pourquoi pas ? Mais pour qui s’imaginerait que cette triennale est dépourvue d’enjeu idéologique, il y aurait malentendu. Et l’on est, comme on voit, à des années-lumière des intentions initiales. Où est-on en fait ? A Venise à l’Arsenal lors des Biennales, à Kassel, à la Documenta, à Sao Paulo, à Istambul, à Séoul, bref, partout où l’art contemporain se décline en foires et biennales sous le label consensuel de la diversité. Et si cette triennale n’était en fait que l’une des déclinaisons du même discours qui se tient d’un bout de la planète à l’autre et fait de la diversité la face artistique de l’unidimentionnalité des produits, des moeurs et des modes de pensée que nous impose la mondialisation ? Cosmétique donc cette Triennale, mais sur le mode du politiquement correct? On se pose la question.