Vous l’avez observé comme moi, parce que ça crève les yeux, c’est comme une façade qui se délite par plaques, comme un pelage d’animal atteint par la gale, comme un paysage d’hiver où la neige laisse apparaître les mottes de terre, le visage de notre premier ministre a changé , sa barbe noire s’est parsemée de taches blanches chaque jour plus nombreuses dont on se demande, non pas si, mais quand elles vont gagner toute la surface pileuse. Si vite !
C’est vrai que lorsque nous avons découvert cet homme public au visage rond sur un long corps élancé on pouvait se poser la question du choix pour la fonction. Quoique déjà maire et connu pour ses qualités il lui manquait un peu de ce poids physique que donne l’expérience et les banquets. Au vrai, il faisait un peu jeune pour un premier ministre, mais guère plus que son Président. Tout de même, il a du sentir le besoin de modifier un peu son apparence, car l’apparence fait beaucoup et si l’habit ne fait pas le moine, comme on sait, le plumage fait l’oiseau, ainsi que son chant, il faut dire.
Mais revenons à ce qu’on appelle le « look » ou le « relooking » qui est au personnel politique ce qu’est le ravalement de façade aux bâtiments de la République. Il y eut des exemples célèbres notamment en matière de chirurgie dentaire qui fait qu’on s’en souvient. On gagne ainsi en sourire ce qu’on perd en grimace.
Quant à notre Premier Ministre, on vit très vite, suivant en cela une mode rapidement devenue tendance, pousser sur son menton une barbe noire du meilleur effet qui, si des ciseaux n’y avaient mis un terme, aurait pu s’établir en tablier de sapeur comme celle de Landru qui fut célèbre en son temps. Mais non, reconnaissons que cela posait mieux, lui donnait un air III° République, la dynamique en plus, qu’elle dégageait un grand front d’intellectuel que son comportement et ses propos accréditaient largement.
Et puis, voilà que comme dans « les bijoux indiscrets « de Diderot, cette barbe se mit à parler toute seule.
Que disait-elle ? Un mien ami, psychologue de son état, me dit : ne cherchez pas plus loin, c’est un effet du stress.
– Vous n’imaginez pas ajouta-t-il à quelle pression sont soumis ces hommes politiques qu’on voit vieillir sous nos yeux. Rappelez-vous le jeune Sarkozy soudain devenu la caricature de lui-même, Le fringant Hollande s’arrondissant de jour en jour et devenu lunaire sous une Chapka caucasienne. Chacun avec son tempérament, son ADN, traduit les chocs quotidiens qu’il subit, les uns sèchent sur pied, les autres enflent, mais nul n’est épargné. Rares sont ceux qui, impavides n’ont pas vu trop s’altérer leur apparence ; Giscard d’Estaing passé il est vrai rapidement au pouvoir (un septennat) mais secoué tout de même et sorti de l’Élysée de méchante manière ne changea guère depuis. Il est vrai que l’homme avait du nerf et qu’il était sportif, il avait en outre l’intelligence supérieure qui permet de relativiser les choses et la longévité, il est resté semblable à lui-même : œil vif dans visage lisse comme celui d’un mandarin. Chirac qui avait un tempérament de pur sang, s’effondra lui aussi à son tour, mais d’un coup. Et ainsi de suite. Relisez ce livre paru il y a plus de vingt ans me dit-il : « Ces malades qui nous gouvernent » et vous comprendrez la dureté de ce métier.
– Voilà qui nous amène tout droit à l’âge de la retraite dis-je. Mais enfin, nul de ceux-là n’a encore posé la question de la pénibilité politique pour en avancer le terme, pire, cette perspective doit en effrayer plus d’un ou plus d’une.
– À tort me répliqua-t-il. J’ai assisté, il y a quelques années à un colloque sur ce sujet précisément et nous avions évoqué le travail des politiques. Vous ne pouvez imaginer ce qu’il en est : travail du matin au soir, déplacements incessants, réunions jusqu’à pas d’heure et cela pendant des années en attendant de s’approcher du pouvoir et puis au moment opportun, l’entrée dans un cabinet ou dans un ministère.
Connaissez-vous les horaires d’un cabinet ministériel ? Savez vous ce qu’il en est ? C’est pire que de conduire un engin SNCF ou d’être exposé à des radiations atomiques ; il faut être corvéable du matin au soir et tous les jours que Dieu fait. Ajoutez-y ces temps-ci le mépris du peuple, la condamnation potentielle, la présomption permanente de culpabilité sur le thème : « tous pourris », la haine de la fonction et ces menaces permanentes, pour un mot, pour un geste, pour un oubli, pour une négligence, sous l’œil des média. Ajoutez-y encore ces défilés incessants dans la rue, en noir en rouge ou en jaune qui en découragerait plus d’un et vous comprendrez.
– Vous comprendrez quoi ?
– Eh bien qu’à la fin, en se regardant dans un miroir le matin, ce premier ministre ou un autre, finisse par se dire : la politique, « Ah, la barbe » ! avant de supprimer cette dernière d’un coup de rasoir, retrouvant ainsi ce visage glabre de « tête d’œuf » doué que nous avions découvert un jour sous les ors de la République et de rejoindre quelque institution du même nom où siègent des sages.
– Donc vous proposeriez aussi une mesure de retraite anticipée pour les politiques, au plus haut niveau sans doute ?
– Retraite pour pénibilité, pourquoi pas, mais je n’y crois guère ; savez-vous que ce sont tous de grands malades ?
-de quoi ?
-mais de la politique .
– Ah bon ?
– Mais oui, de retraite ils ne veulent pas entendre parler, le mot à leurs oreilles a des consonances militaires : la retraite de Russie, le drapeau qu’on replie et le terrain qu’on abandonne sous la neige, vous me suivez. En réalité, la plupart aiment cette vie-là, ils sont dopés à l’adrénaline ou à autre chose, rien à faire ils sont accros à la politique, à vie !
– C’est donc pour cela qu’on ne les voit pas défiler pour la retraite ? Enfin pas tous.
– Non, vous avez raison, ceux qui défilent, c’est pour la retraite des autres, afin de prendre plus vite leur place dans le grand manège qui commence place de la République pour finir dans les palais du même nom !