La période est aux vœux, pas un élu, pas un chef d’entreprise, pas un président d’association, bref pas un de ceux dont dépendent le bonheur ou simplement la tranquillité des autres n’échappe à ce rituel. C’est l’occasion de belles péroraisons, de satisfécits multiples sur le monde « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » avant que petits fours engloutis et coupe de vin éclusée, la vraie vie ne reprenne le cours de ses tensions, frustrations, regrets, ressentiments mais aussi espoirs, ou encore inquiétudes qui sont l’ordinaire de notre condition.
Et pourtant du plus profond de nos usages, depuis la plus haute antiquité, nous sacrifions (au propre comme au figuré selon les époques) aux vœux de nouvel an. Comme si le fait de changer d’année avait le pouvoir de changer le cœur des hommes et les projets qui les hantent. Car les vœux sont toujours les mêmes : santé, paix, prospérité, bonheur et pour cela selon nos croyances, on invoque une divinité ou l’on s’en remet au sort. Certains pragmatiques choisissent même contre toute logique d’acheter un billet de loterie, car certains gagnent parfois. Mince statistique disons-le, mais tout le monde a besoin de cela, besoin de respirer autrement, d’entendre quelque chose qui ne soit pas morose ou affligeant, qui rompe avec l’addiction aux chaînes d’information qui sont le blues quotidien de la désespérance.
Alors, cette parenthèse dans la vie quotidienne ce moment où l’on se dit que la vie peut recommencer comme un calendrier dont on arrache les feuilles déjà écrites sans craindre les conséquences, cet espoir de repartir tout neuf sans les soucis de la veille ou de l’année écoulée, c’est bien une illusion, mais vitale et utile à la vie ; c’est pourquoi la plupart d’entre nous y sacrifient dans leur vie sociale et individuelle.
Je ne ferais pas exception, mais je le ferais sur le mode ironique en disant ce que je préfèrerais moi aussi que le monde soit ou redevienne meilleur.
Par exemple je préfèrerais que la culture soit une préoccupation nationale et publique comme elle l’a été longtemps avant de devenir une charge que l’on veut réduire ou faire disparaitre.
Je préfèrerais que la culture soit revendiquée par les élites elles-mêmes et qu’on n’ait plus à s’en excuser comme d’une tare au profit du « culturel » qui nivelle.
Je préfèrerais que le mot humanisme et humaniste ne soit plus un gros mot comme au temps où l’on faisait ses humanités (on dit aujourd’hui ses études)
Je préfèrerais qu’on enseigne l’Histoire de France aux Français plutôt que l’Histoire mondiale où ils comptent pour si peu.
Je préfèrerais qu’on n’oublie pas que nous avons un passé et pas seulement un passif dans notre histoire compliquée mais héroïque aussi.
Je préfèrerais la civilité au « politiquement correct » et l’amour du prochain au respect de l’autre.
Je préfèrerais voir des visages nus et non des visages voilés car le visage dit tout de la personne, de la sociabilité et de la liberté de son environnement.
Je préfèrerais qu’on se dise bonjour malgré tout bien qu’on ne lève plus son chapeau puisque personne n’en porte guère.
Je préfèrerais en un mot que la peur de l’autre ne se transforme pas en haine de l’autre et aussi en haine de soi parfois.
Je préfèrerais que l’Éducation nationale et la société dans son ensemble soient un peu moins « woke » et un peu plus tolérantes et qu’on ne fasse plus de la compétition victimaire la base du comportement social.
Je préfèrerais que l’on parle davantage de nation que d’archipélisation.
Je préfèrerais que l’identité de genre ne prenne pas la place de l’identité tout court.
Je préfèrerais que le continent homme et le continent femme cessent de s’éloigner l’un de l’autre sur fond de méfiance et de détestation .
Je préfèrerais qu’on se tatoue un peu moins et qu’on se parle un peu plus.
Je préfèrerais qu’avant de se parler on coupe son portable.
Je préfèrerais que les gens sortent et aillent au cinéma plutôt que de regarder Netflix sur leur canapé.
Je préfèrerais qu’on respecte les hommes et femmes politiques car à force de les détester et de les poursuivre, on n’en trouvera bientôt plus aucun qui veuille se dévouer au bien commun.
Je préfèrerais un monde sans Poutine et sans Trump et quelques autres encore…
Je préfèrerais me réveiller avec la paix dans le monde.
Au fond, je suis comme tout le monde ou presque, et j’ai beau dérouler la liste de mes préférences il est certain que je trouve que le monde actuel ressemble de moins en moins à ce que je préfère.
J’en arriverai même avec Lamartine à déclarer :
« mon cœur lassé de tout, même de l’espérance
N’ira plus dans ses vœux, importuner le sort »…
(« Le Vallon » dans Méditations poétiques)
Mais qui lit encore Lamartine, ou qui l’a lu ?