Je n’étais pas revenu à Berlin depuis longtemps, depuis avant la chute du mur, c’est dire si mes souvenirs pouvaient être datés. J’y suis revenu en juin tout en me disant que cela fait vingt qu’il a été détruit par la population elle-même.
((/public/.bertolt_Brecht_m.jpg|bertolt_Brecht.JPG||bertolt_Brecht.JPG, sept. 2009))Je parlerai d’abord de l’odeur des tilleuls, des tilleuls partout et en fleurs ,« les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de Juin, l’air est parfois si doux qu’on ferme la paupière » disait le poète. On comprend mieux pourquoi cette ville a pu donner à sa plus belle avenue « Unter den Linden », (sous les Tilleuls) le nom d’un arbre qui pousse à merveille en ces latitudes. Me frappe encore l’immensité de la ville avec ses quartiers si différents : Schönfeld, Kreuzberg, Grünwald, Tiergarten, Charlottenburg, Mitte aujourd’hui réunis alors qu’à disparu l’horrible mur dont j’ai encore la mémoire. Je me souviens de cette inscription lue du côté de Kreutzberg, je crois : « Wer Mauer baut, der hat nötig »,( c’est celui qui en a besoin qui bâtit le mur), sous entendu, le pouvoir, pas les citoyens. Disparu donc le mur, disparu Check point Charlie, recouverte de buildings ultra modernes la PostdammerPlatz que j’ai connue déserte, restauré le Reichstag, bref je ne reconnais plus rien, si, le Ku-Dam peut-être, mais il a perdu de sa superbe et de sa modernité. La modernité et l’architecture nouvelle sont à présent à l’Est et tout cela ressemble furieusement à n’importe quelle grande ville occidentale, mêmes enseignes, mêmes commerces, mêmes voitures, même mobilier urbain, pas de regrets, rideau sur l’histoire et tant mieux ! Que faire d’autre alors que revenir sur les lieux connus, et là, déception, la « NeueGalerie » de Mies Van de Rohe est vide et ses œuvres remisées à la cave. Le jour où j’y passais il y avait une « installation » d’Imi knöbel intitulée : « Zu Hilfe ! Zu Hilfe ! », à l’aide ! à l’aide ! Comme on le comprend ! Dans un autre quartier, le Schiller Théâtre que j’avais connu en pleine activité est désert et les herbes folles poussent sur son parvis, Trop de musées, trop de théâtres, les deux parties de la ville qui s’étaient livrées à une concurrence culturelle acharnée pendant des années, une fois réunies, ont dû renoncer aux doublons et ont créé des bâtiments uniques comme la Gemälde Galerie, la galerie de peinture, qui réunit les tableaux qui étaient à l’Est et ceux qui étaient à l’Ouest. Seul le bâtiment de la Philharmonie où j’entendis jouer Rostropovitch sous la direction de Karajan est encore là et en fonctionnement. Or la ville bouge culturellement, je le sais, mais comment dire, ce n’est pas la visite au « Berliner Ensemble » qui communique désormais sur son adresse « Theater am Schiffbauerdam » ou à la Schaubühne qui me donneront la confirmation de cette information. Je devais être loin des lieux de fièvre, à Kreutzberg sans doute ou aux « HalleschenHoffer » ! Reste le doux cimetière de Dorothée visité cette fois sous la pluie et si j’ai bien retrouvé rapidement la tombe d’Helena Weigel et Bertolt Brecht, j’ai mis du temps à retrouver celle de Hegel. L’ayant trouvée, un moment de méditation s’imposa sur l’esprit du monde arrêté au FriedHof. Plus loin, Paul Dessau, Heinrich Mann arrêtèrent mon regard, on me dit que Heiner Müller est aussi enterré là mais je n’ai pas vu sa tombe. Dehors, la ville respire le calme, l’ordre bourgeois, faut-il dire Prussien avec son rythme lent, son trafic automobile fluide, ses grands magasins, les mêmes que partout quasiment et l’on se dit pourtant que cette ville a été dévastée par la guerre, que des horreurs y ont été commises, que l’Histoire y a traîné ses étendards sanglants, mais elle a été relevée par les « femmes des ruines » et les crédits américains. Il n’en reste que des cartes postales un demi-siècle plus tard, des cartes postales et l’odeur des tilleuls alors que je me promène sur l’avenue tout songeur et plein de mélancolie. Demain, dans quelques jours ou semaines vont commencer les festivités du vingtième anniversaire de la chute du mur. On reviendra alors sur l’histoire de cette cicatrice urbaine, on reviendra sur la réunification d’abord joyeuse puis nostalgique, on refera l’histoire encore et toujours, sans fin, et l’on parlera du « ventre d’où est sortie la bête immonde » selon les mots de Brecht, mais Brecht dort dans sa tombe, et sa statue de bronze veille désormais face au théâtre, il me semble avec une certaine expression ironique, celle d’un homme qui connaît l’Histoire et à qui on ne la fait pas !